La loi relative au prix unique du livre qui a bousculé le monde de l’édition et de la librairie en 1981 a depuis essaimé un peu partout dans le monde. Retour sur une loi phare de l’exception culturelle française.

À l’occasion de la 23ème édition de la fête des librairies le 24 avril dernier, le livre Que vive la loi unique du prix du livre a été offert aux clients des librairies. Publié par l’association Verbes et les éditions Gallimard, il revient sur l’histoire de la loi sur le prix unique du livre portée par Jack Lang, ministre emblématique de la culture de François Mitterrand.
La loi du 10 août 1981 relative au prix du livre permet à l’éditeur de fixer le prix du livre tout en le contraignant à inscrire celui-ci sur la couverture.
Le prix de vente est donc imposé au vendeur – ce qui n’était pas le cas avant. La loi limite également le montant du rabais en le fixant à 5% au plus du prix affiché sur la couverture.
Cette loi n’est pas arrivée par hasard dans le programme des socialistes alors en campagne pour la présidentielle de 1981.
Limiter la concurrence et maintenir un réseau de librairies
Deux ans plus tôt, en 1979, l’arrêté Monory a défini le prix net qui laisse aux libraires la liberté de fixer le prix de vente des livres. La concurrence entre les libraires s’intensifie au profit des hypermarchés et des grands magasins multimédia qui, parce qu’ils peuvent s’assurer de gros volumes de ventes pour faire leur marge, proposent des remises substantielles de 20 % à 30 % que ne peuvent se permettre les petites librairies. Les librairies traditionnelles ne peuvent faire face. Elles voient leur avenir en noir et leur survie semble compromise.
Aussi, pour s’assurer des ventes et faire leur marge, les vendeurs sont tentés de favoriser des ouvrages qui se vendent vite, les best-sellers dont la qualité est souvent discutable. Les livres considérés comme plus difficiles sont dès lors moins soutenus. Le pluralisme dans la création et l’édition sont en danger. Au début des années 80, le constat est sans appel : l’arrêté Monory est un échec et les librairies indépendantes sont à l’agonie. C’est dans ce contexte que la Fédération française des syndicats de libraires et le Syndicat national des éditeurs réclament le prix unique du livre.
Une politique culturelle plus aussi exceptionnelle
Votée le 10 août 1981, la loi Lang est un tournant majeur pour le marché du livre sur les plans économique, politique et sociétal. Économique par le prix unique du livre qui évite toute comparaison et permet de maintenir l’achat compulsif, essentiel dans le domaine de la culture. Politique parce qu’elle fait du livre un bien culturel d’exception. Et sociétal parce qu’elle permet aux Français d’acheter le même livre au même prix partout sur le territoire.
Aujourd’hui, un ouvrage un peu difficile a les mêmes chances d’aboutir qu’un autre, car on le trouvera partout au même prix, quel que soit le lieu dans lequel il est mis en vente. Cela encourage les auteurs d’ouvrages difficiles à malgré tout tenter leur chance.
Pierre Dutilleul, directeur du Syndicat national de l’édition
Aujourd’hui, le prix unique du livre n’est plus une spécificité française. La politique culturelle française sur le livre a été régulièrement observée au cours des 40 dernières années par des pays étrangers. Et malgré le contexte de dérèglementation et le principe de libre concurrence européen à l’oeuvre ces dernières années, l’instauration du prix fixe du livre dans la plupart des pays européens a été le moyen de soutenir le secteur de l’édition et de la librairie en Belgique, en Allemagne, en Autriche, mais aussi en Espagne et en Grèce. Actuellement, elle est à l’étude au Brésil et en Israël.
Une loi légitime
Ses détracteurs – les gros distributeurs – ont souvent opposé aux tenants de la politique du prix unique du livre que cette loi représentait une restriction à la liberté du commerce. Aujourd’hui, dans la mesure où elle a contribué au développement d’un réseau de librairies sur tout le territoire et à l’égalité du citoyen devant le livre vendu au même prix partout, elle est considérée comme légitime.
Un autre effet de cette loi est qu’elle a également permis une modernisation des librairies indépendantes en leur donnant les moyens de s’informatiser et d’améliorer la qualité de leur service clientèle.
Au cours des 40 dernières années, les libraires se sont regroupés au sein de réseaux qui contribuent à renforcer leur résistance face à la concurrence des gros distributeurs. Pour autant, la vente de livres dans les magasins multimédia et les hyper/supermarchés n’a cessé de croître. En 2020, seulement un livre sur quatre s’est vendu dans une librairie indépendante quand près d’un livre sur deux a été vendu par un gros distributeur.
La situation des librairies indépendantes reste donc fragile, d’autant plus que leurs marges sont parmi les plus faibles du commerce de détail. L’accélération du développement du e-commerce pendant la crise sanitaire mobilise les libraires et les contraint à adapter leurs pratiques de diffusion à ce nouveau mode de consommation. Dans ce contexte, la reconnaissance des librairies comme commerce essentiel au cours de l’année 2020 est une avancée qui, pour Pierre Dutilleul, directeur du SNE, « ponctue de manière positive la loi Lang. »