Alain Gnaedig est le traducteur de La beauté du peuple de la Danoise Merete Pryds Helle, un roman intense sur les évolutions du Danemark des années 30 aux années 70 et sur la condition féminine. L’occasion idoine pour évoquer avec lui ce roman et son rôle de traducteur.
Alain Gnaedig a plusieurs cordes à son arc. Il est l’auteur de trois romans, travaille chez Gallimard comme responsable éditorial du domaine scandinave pour la collection Du Monde Entier et est aussi traducteur. Parmi la centaine de livres qu’il a traduits, on retrouve quelques-uns des meilleurs auteurs danois, Karen Blixen, Jens Christian Grøndahl et Carsten Jensen. Pas mal de Suédois comme Astrid Lindgren et Sven Lindqvist et autant – ou presque – de Norvégiens : Erik Fosnes Hansen, Roy Jacobsen, Jo Nesbø.

Sa dernière traduction est le roman de Merete Pryds Helle, La beauté du peuple, qui a connu au Danemark un fort succès à la fois critique et public. « Ce livre m’a été très vivement recommandé par l’éditeur danois de Merete Pryds Helle, avec qui je m’entends très bien. Je l’ai donc lu, et mon autre travail étant celui d’éditeur du domaine scandinave pour la collection Du Monde Entier chez Gallimard, nous [en] avons acheté les droits ».
Son héroïne, Marie, est née dans une famille pauvre de l’île de Langeland. Ses journées sont rythmées par l’école et les travaux domestiques qu’on lui demandent d’accomplir sans ménagement. La vie est sommaire dans une petite maison qui peine à accueillir une famille très nombreuse et les repas sont frugaux.
La rudesse est inscrite dans les relations comme dans le paysage froid et austère. Les hivers sont glacés et le vent transperce les peaux. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate et que le Danemark est envahi, les plus démunis sont encore plus miséreux. Marie réussira à s’extraire de cette pauvreté grâce à son mariage avec Otto, un jeune électricien, qui rêve de s’établir à Copenhague.
La beauté du peuple raconte le Danemark d’avant et d’après-guerre et la condition des femmes. En toile de fond, la question est posée du prix à payer pour toute ascension sociale. Merete Pryds Helle, qui vient d’un milieu pauvre, livre un récit authentique que son traducteur français, Alain Gnaedig a accepté de nous présenter.
Avez-vous aimé le roman en tant que lecteur ?
En vérité, j’aime ce roman sous trois perspectives, celle de l’éditeur, celle du traducteur et celle du lecteur de fiction, qui recoupe aussi mon métier d’auteur de romans. Dans les trois cas, il me semble que La Beauté du peuple est un roman important, qui a marqué les lettres danoises de ces dernières années, et qui répond à ce qui me paraît définir et caractériser les métiers d’éditeur et de traducteur, à savoir faire découvrir un ailleurs aux lecteurs francophones.
D’une part, il me semble que La Beauté du peuple fait découvrir une réalité danoise méconnue, dans le sens où Marie incarne le Danemark et les changements profonds qui traversent le pays des années 1930 aux années 1970. Et, d’autre part, je considère que le destin de Marie, en plus d’être emblématique de celui de son pays, est emblématique de la condition féminine et de toutes les violences qui sont faites aux femmes.
La beauté du peuple est porté par une voix, âpre et forte, par une véritable intention littéraire.
En ce sens, alors qu’il est parfaitement ancré dans une réalité culturelle et géographique donnée, ce roman a un écho universel, et il me semble que bien des femmes pourront s’identifier au destin de Marie. Enfin, je trouve que ce roman est porté par une voix, âpre et forte, par une véritable intention littéraire. J’ai envie d’insister: La Beauté du peuple est un roman, ce n’est pas un récit, même si Merete Pryds Helle utilise des éléments de son histoire familiale. J’apprécie aussi le fait qu’elle vient d’un milieu très modeste, car cela donne à ses descriptions une authenticité et une crédibilité que l’on ne trouve pas toujours.
Avez-vous échangé avec l’auteure ? Sur quels sujets ?
Oui, j’ai rencontré Merete Pryds Helle, nous avons échangé, discuté, je lui ai posé des questions très précises sur certains points géographiques et historiques, et sur certaines formulations du roman, notamment des métaphores, et elle a répondu en détail et avec soin.
Quels écueils faut-il éviter quand on traduit du danois ? Qu’est-ce qui fait une belle traduction ?
Je ne crois pas qu’il y ait d’écueils particuliers à la traduction d’un texte littéraire écrit en danois. Pratiquer la traduction littéraire, c’est fabriquer dans ma langue les idiomes qui me permettront de traduire le texte. Ma langue, c’est l’espace qui va de mon idiolectie la plus personnelle à ce qui est le plus général, c’est-à-dire ce qui est recevable par tous les lecteurs. C’est brasser tous les registres qui me sont accessibles : ce qui me vient spontanément, ce que je sais mimer, ce que je peux emprunter aux « voix » de ma littérature.
C’est aussi savoir écouter et synthétiser les évocations suscitées par le texte et par l’expérience antérieure de traducteur de textes de cette langue, ce qui amène la volonté — ou l’envie — de saisir telle mimique ou tel geste, de produire telle dynamique de l’expression et, plus généralement, de produire tel ou tel effet.
Traduire de la fiction, c’est cela : trouver dans l’immense registre de la langue française, les voix, les idiomes qui me permettront de recréer une œuvre dans la totalité de son intention.
Et je tiens à mettre l’accent sur ce que, plus haut, j’appelle les « voix ». Traduire de la fiction, c’est cela : trouver dans l’immense registre de la langue française, les voix, les idiomes qui me permettront de recréer une œuvre dans la totalité de son intention. Les éventuelles difficultés à trouver ces « voix » ne sont pas inhérentes à la traduction de textes d’écrivains scandinaves, mais consubstantielles à toute véritable traduction littéraire.