Dimitri Rouchon-Borie : Le Démon de la Colline aux Loups

Dimitri Rouchon-Borie Dimitri Rouchon-Borie, autoportrait

Chroniqueur judiciaire, Dimitri Rouchon-Borie signe Le Démon de la Colline aux Loups, un premier roman magistral et glaçant sur une enfance maltraitée. Salué par la critique, couronné de plusieurs prix, ce livre marque l’entrée en littérature d’un témoin des violences dont notre société est capable.

La voix s’élève du fond d’une cellule de prison. Une voix dont on a peine à définir l’âge. Le langage est proche de celui de l’enfance, l’expression maladroite et singulière, par manque d’instruction sans doute, parce que l’émotion déborde et qu’il est difficile de la traduire en mots quand on en connaît si peu. Les phrases sont prononcées dans un souffle, sans virgule, sans répit, comme une longue plainte sauvage.

Mon père disait ça se passe toujours comme ça à la Colline aux Loups et ça s’était passé comme ça pour lui et pour nous aussi. Maintenant je sais que ça s’est arrêté pour de bon. La Colline aux Loups c’est là que j’ai grandi et c’est ça que je vais vous raconter. Même si c’est pas une belle histoire c’est la mienne c’est comme ça.

Le démon de la colline aux loups

Page après page, la voix du garçon raconte l’indicible : l’enfance maltraitée, les sévices subis, la violence des parents dans la maison de la Colline aux Loups. Mais Duke, puisque c’est son nom, raconte aussi avec la même intensité le réconfort après les coups, lorsqu’il retrouve la chaleur animale du nid, blotti contre ses frères et soeurs, dans l’obscurité d’une pièce aux volets clos.

« Ça va aller », dit constamment Duke à ceux qui s’inquiètent pour lui. Mais non, ça ne va pas. Tu sens ta mort approcher. Si tu allais bien Duke, on ne t’aurait pas privé de ta liberté. Tu ne serais pas assis dans ta cellule, à taper le récit de ta vie sacrifiée à la machine à écrire, cherchant l’absolution et l’apaisement dans la lecture des Confessions de Saint-Augustin.

Car le Démon veille, tapi dans l’ombre, prêt à bondir. Ce Démon, tu le sens en toi, dans ta chair, héritage que t’a transmis ton père dans la maison de la Colline aux Loups, comme son père, comme le père de son père avant lui.

Tous les jours je me demande pourquoi quelqu’un n’est pas venu me sauver avant, quand j’étais un enfant, ou encore plus tôt quand j’étais à peine une idée dans l’ordre des choses.

Il faut avoir le coeur bien accroché pour écouter l’histoire de Duke. Des histoires comme celles-ci, l’auteur a dû en entendre plusieurs dans les cours d’assises. Peut-être avait-il besoin de se purifier l’âme de tant de noirceur en écrivant cette fiction puisée dans l’atrocité du réel. Le lecteur devient le témoin attentif mais impuissant de cette descente aux enfers, incapable de fuir ou de prendre ses distances tant l’immersion est forte. La lecture se fait d’une seule traite tant cette histoire nous hypnotise. Nous avions été bouleversés par My absolute Darling de Gabriel Tallent et par Né d’aucune femme de Franck Bouysse. Hommage à l’enfance maltraitée, ce premier roman nous frappe en plein coeur et nous met K.O.

Note : 4 sur 5.

Le Démon de la Colline aux Loups
Dimitri Rouchon-Borie
Le Tripode, 2021, 240 pages.