Après Des jours sans fin, Sebastian Barry continue son exploration de la période mouvementée qui suivit la guerre de Sécession et nous emmène avec Des milliers de lune dans une ferme du Tennessee, au sein d’une famille atypique frappée par la pauvreté. Pour ce nouveau roman, il donne la parole à Winona, la petite Indienne adoptée et élevée par John Cole et Thomas McNulty, deux anciens soldats.

Sebastian Barry est un homme de lettres irlandais, auteur de pièces de théâtre, de poèmes et de romans. Il a remporté à deux reprises le prestigieux prix Costa, l’une des plus importantes distinctions anglaises, pour ses romans Le testament caché et Des jours sans fin.
Dans Des jours sans fin publié en 2018, Sebastian Barry raconte la rencontre entre Thomas McNulty, un jeune immigré irlandais, et John Cole, originaire de la Nouvelle-Angleterre, aux environs de 1860. Devenus inséparables, tous deux se travestissent dans des saloons, s’engagent aux côtés des forces de l’Union et combattent les Indiens des Grandes Plaines, pour finalement recueillir une orpheline rescapée, la jeune Winona, l’héroïne du livre Des milliers de lunes.
Une Indienne dans le Tennessee
Du massacre qui l’a rendue orpheline, Winona n’a que très peu de souvenirs. D’ailleurs, elle comprend très jeune qu’il vaut mieux oublier ses origines indiennes si elle veut rester en vie. Car dans ce comté du Tennessee, esclaves affranchis et Indiens n’ont aucune existence légale.
C’était déjà assez dur comme ça d’être indienne, inutile de parler comme un corbeau. […] En tant qu’Indienne, je me sentais le devoir de m’exprimer comme une impératrice. […] Sinon, j’aurais été battue chaque fois que je me rendais en ville. C’était mon anglais qui me sauvait. […] Ce n’était pas un crime de s’attaquer à un Indien, voilà tout.
Auprès de Thomas et de John, sa famille adoptive, et grâce à l’esprit protecteur de sa mère, guerrière lakota victime de la cruauté des Blancs, Winona se sent en sécurité, entourée de l’affection des siens. Jusqu’à ce que Jas Jonski, qui travaille à l’épicerie, s’intéresse à elle d’un peu trop près.
Le témoignage d’une victime
Le talent de Sebastian Barry tient à sa capacité à mettre en lumière une période trouble de l’histoire des États-Unis, comme il l’avait fait dans Des jours sans fin. Cette fois-ci, le narrateur n’est plus Thomas McNulty, mais Winona, une jeune fille qui met tout en oeuvre pour échapper à son destin de victime. Avec elle, nous évoluons dans ce comté de Henry, un lieu en proie aux violences et aux injustices, où les cavaliers de la nuit terrorisent les plus faibles, les esclaves affranchis et les Indiens, ces êtres jugés indignes des lois civiles.
Une lecture moins enthousiaste
Nous n’avons pas éprouvé pour ce roman le même engouement que pour le précédent, Des jours sans fin. Peut-être avons-nous été gênés par quelques clichés ou par le manque de profondeur de certains personnages un peu caricaturaux. En revanche, les passages où la jeune Indienne évoque l’existence paisible et insouciante qu’elle menait avec sa tribu sont de toute beauté, marqués par la nostalgie, très poétiques.
La tête de ma mère regorgeait de bonnes histoires, qu’on écoutait blottis entre ses jambes pour avoir chaud. Nous parlions notre langue à l’époque et je sens encore sa voix murmurer, son souffle comme une petite tempête sur mon visage lorsque je le tournais vers elle.
Ce qu’il faut retenir, c’est l’histoire et les conséquences du massacre des tribus indiennes des Grandes Plaines, une tragédie racontée à travers le destin de Winona et les siens. Et sans doute aussi la cruauté avec laquelle on traitait les esclaves affranchis. Un rappel nécessaire.
Des milliers de lune
Sebastien Barry
Laetitia Devaux (traduction)
Editions Joëlle Losfeld, 2021, 240 pages.