L’heure des choix (selon Helene Bukowski)

Helene Bukowski, crédit photo Rabea Edel Helene Bukowski, crédit photo Rabea Edel

Premier roman de l’Allemande Helene Bukowski, Les dents de lait est une dystopie autant qu’un conte cruel. Sur fond de changement climatique, la jeune Skalde affronte des adultes en proie à la peur et choisit ce que sera sa vie. Un roman prometteur dans lequel transparaissent les idéaux écologiques et pacifiques de l’autrice.

À vingt-six ans, Helene Bukowski est partie vivre plusieurs mois en Basse-Saxe, un Land du nord-est de l’Allemagne, seule avec son chien. De cette période d’immersion totale, elle revient avec ce roman marquant à l’atmosphère oppressante. Dans la veine du nature writing, Les dents de lait transposent, avec succès, en Allemagne, ce genre né aux Etats-Unis qui a fait la renommée des éditions Gallmeister.

Un univers onirique

Helene Bukowski, Les dents de lait

Le brouillard grise tout, les couleurs comme les âmes. Le monde a commencé à basculer lorsqu’il s’est installé sur les forêts et la prairie. Les animaux ont perdu leur couleur. Les hommes vivent dans des maisons isolées, sortant essentiellement pour aller chercher ce que la terre veut bien encore leur donner : des oignons, des mirabelles, quelques lapins dont ils se font des manteaux. Les réflexes de survie ont pris le dessus sur la pensée et chacun défend bec et ongles son petit lopin de terre. La peur s’est installée durablement depuis que des animaux ont été soupçonnés de transmettre des maladies aux hommes. En réaction le village se coupe du monde en détruisant le pont, dernière infrastructure qui le reliait au reste de l’humanité. Il vit dorénavant en autarcie. Et dans la peur.

Lorsque Skalde, une adolescente en pleine crise, découvre par hasard une enfant qui erre seule dans la forêt et décide de la ramener chez elle, les villageois s’inquiètent. Car l’enfant n’est pas du village et ça se voit : elle est rousse. Cette différence sera dès lors l’objet du rejet. Skalde devra affirmer ses choix face à des hommes hostiles et s’aventurer en terrain inconnu pour la protéger.

Un roman d’apprentissage

Dans ce roman sur ce moment tendu qu’est le passage de l’adolescence à l’âge adulte, le récit est porté par Skalde. On voit ce qu’elle voit. On voit ce qu’elle ne comprend pas (mais finit par comprendre). C’est ainsi que, par ce procédé habilement maîtrisé, Helene Bukowski donne corps et âme à Edith, la mère de Skalde. En opposition permanente avec elle, elle la repousse ou la méprise, c’est selon son humeur, et sa vision très « premier degré » d’adolescente mal lunée agace. Car la femme qui est donnée à voir à travers ses yeux est puissante. Edith est une femme indépendante et libre qui a choisi sa vie malgré un contexte hostile. Cultivée, elle puise sa sagesse dans les livres et les poèmes.

Intelligente, elle sait accompagner sa fille vers l’âge adulte. C’est elle qui lui fait comprendre qu’attendre en espérant que tout s’arrangera tout seul est une illusion et qu’il faut agir. Grandir, c’est savoir se séparer. Les dents de lait deviennent alors un conte cruel.

Les idéaux d’une jeune autrice

Helene Bukowski questionne l’influence de la dégradation de l’environnement sur les changements sociaux. Le dérèglement climatique fait resurgir la peur et les réflexes qui l’accompagnent souvent : le rejet des autres et le repli sur soi. Le roman décrit la difficulté de s’intégrer dans une communauté. Dans cette société archaïque, le monde extérieur est vu comme dangereux. Mais le monde intérieur peut l’être tout autant. Skalde l’apprendra à ses dépens.

Même si Les dents de lait ne sont pas vraiment un roman original, elles ne sont pas moins un bon roman. Par son écriture concise et percutante, Helene Bukowski nous entraîne dans ce monde oppressant où une adolescente devient adulte.

Note : 3.5 sur 5.

Les dents de lait
Helene Bukowski
Sarah Raquillet et Elisa Crabeil (traduction)
Gallmeister, 2021, 261 pages.