AU-DELÀ de la mer, le soleil sombre

Paul Lynch, crédit photo Richard Giligan Paul Lynch, crédit photo Richard Giligan

L’auteur irlandais Paul Lynch signe Au-delà de la mer, un tête-à-tête entre deux êtres dérivant sur un bateau, seuls en plein milieu de l’océan Pacifique. Une métaphore poétique et cruelle de la condition humaine.

Ce matin-là, Bolivar, pêcheur aguerri, ne souhaitait pas partir en mer avec Hector. Les sorties de pêche, il ne les faisait qu’avec Angel, mais ce dernier est introuvable. Contraint et forcé, Bolivar prend le large avec Hector, un adolescent dégingandé et inexpérimenté que lui présente son patron.

Tu l’as compris dès l’instant où tu l’as vu, se dit Bolivar. C’était clair à sa démarche et à sa posture, à sa petite mâchoire trop courte.

Aveugle aux signes qui devraient l’alerter, Bolivar les précipite dans une tempête dévastatrice qui les contraint à errer en plein milieu de l’océan, dans un isolement total, avec comme unique refuge leur panga. Commence alors la lutte pour la survie et l’attente, terrible mais porteuse d’espoir, que quelqu’un vienne les secourir.

En mettant ainsi les corps à l’épreuve, rongés par le sel et desséchés par le soleil, Paul Lynch met à nu l’âme des deux pêcheurs. Des femmes hantent leur mémoire et des actes peu avouables surgissent des replis de leur conscience. Passées les premières méfiances, chacun se confie à l’autre, peut-être pour s’alléger d’un poids à l’heure où sa vie menace de s’éteindre.

Progressivement, la frontière entre le réel et l’imaginé s’estompe. La vie et la mort semblent également se confondre à mesure que les jours s’écoulent au rythme des vagues, altérant le comportement, brouillant la lucidité. Les périodes de délire sont de plus en plus fréquentes sous le soleil de plomb qui terrasse Hector et Bolivar.

On est morts pendant la première tempête, poursuit Hector. pour moi ça s’est passé quand je suis tombé à la mer. Je ne me suis même pas aperçu que je mourais. La frontière qui sépare la vie et la mort, elle est tellement mince. Tellement bizarre. Ce n’est pas quelque chose dont on fait l’expérience. Juste un passage d’un état à un autre. On jaillit hors de l’eau en reprenant son souffle, sans savoir qu’on est déjà mort.

En choisissant deux personnages d’âge, de condition et de caractère diamétralement opposés, Paul Lynch accentue davantage la solitude de chacun. L’impossibilité de communiquer contraint Bolivar et Hector à trouver refuge à l’intérieur d’eux-mêmes, dans les tréfonds de leur âme, là où personne d’autre ne peut les atteindre. L’âme humaine et l’océan présentent bien des similitudes. Et le risque est grand de s’y plonger.

Note : 3.5 sur 5.

Au-delà de la mer
Paul Lynch
Marina Boraso (traduction)
Albin Michel, 2021, 240 pages.