Métaphysique de la chute : Avec Bas Jan Ader

Thomas Giraud, crédits Solenn Morel Thomas Giraud, crédits Solenn Morel

Dans son nouveau roman, Thomas Giraud retrace avec élégance le destin atypique d’un artiste néerlandais passionné par la chute des corps qui décida de traverser l’Atlantique sur un bateau minuscule. Une ultime performance qui va lui coûter la vie.

Thomas Giraud, Avec Bas Jan Ader, Editions La Contre-Allée

Thomas Giraud aime les personnages singuliers et les aventures humaines extraordinaires. Dans son précédent roman, Le Bruit des tuiles, il s’intéressait à une poignée d’hommes et de femmes partis d’Europe au 19ème siècle pour s’établir au Texas, dans le but de fonder une communauté idéale, inspirée des phalanstères de Charles Fourier. Adoptant le point de vue de différents personnages, Thomas Giraud nous racontait cette utopie vouée à l’échec, cinq ans seulement après sa fondation.

Il est aussi question d’échec dans Avec Bas Jan Ader, d’échec et de chute. Car la chute, l’artiste néerlandais l’a reçue en héritage ; le corps de son père est tombé sous les balles des Allemands en 44. Dans ses performances spectaculaires, Bas se plaît à souligner le déséquilibre des corps malmenés par la pesanteur. Il aime que l’on capture sur la pellicule l’instant où son corps bascule et chute, laissant le hasard décider du moment, choisissant le lieu : depuis les branches d’un arbre, d’une chaise posée sur un toit, ou d’un vélo précipité dans le canal.

La chute finale t’intéresse moins que le moment où l’on perd pied, le processus, le passage du haut vers le bas… Ce qui compte c’est de montrer comment quelqu’un tombe, la manière dont on passe du déséquilibre au basculement, ces quelques grammes qui équilibraient tout le corps sur la ligne très fine et entraînent, t’entraînent à présent vers le sol.

Mais il existe une façon plus radicale de se soumettre au hasard. Lorsque Bas Jan Ader prend la mer à bord d’une minuscule embarcation rafistolée, dans le but de traverser l’Atlantique en deux mois, on comprend que les chances d’accomplir cette performance sont bien minces. Une entreprise utopique, orgueilleuse, presque suicidaire, pour la beauté du geste. L’art de la chute, en somme.

Et puisque tu n’étais pas toujours optimiste, tu avais lu que se noyer n’était pas aussi impressionnant que ça. Une légère angoisse pendant quelques secondes, ensuite, c’est comme si on tombait de haut, de très haut, sur du duvet. Et puis, plus rien, absolument rien.

Thomas Giraud choisit de mettre en scène un personnage singulier, approchant son sujet de façon plus intime, comme un compagnon de voyage. Son écriture est belle, poétique et la structure du roman est parfaitement maîtrisée. Avec Bas Jan Ader est sans conteste l’un des plus beaux romans de la rentrée.

Note : 4.5 sur 5.

Avec Bas Jan Ader
Thomas Giraud
La Contre Allée, 2021, 192 pages.