Anne Brécart : « Ailleurs cela ne pouvait être que mieux. » (La Patience du serpent)

Anne Brécart, auteure, crédit photo Romain Guélat

Accompagnés de ses deux enfants en bas âge, un couple de trentenaires décide de tout quitter pour mener une vie nomade. Voilà le point de départ du nouveau livre d’Anne Brécart, La Patience du serpent, paru aux éditions Zoé. Un roman initiatique, intrigant et sensuel, qui touche à l’intime. Entretien avec l’auteure.

Avachis sur le canapé d’un squat de Genève, Christelle et Greg mûrissent le projet de partir. Quitter la ville grise, les difficultés administratives, l’ennui d’un emploi régulier et d’une vie bien rangée. Les dernières formalités accomplies, ils se mettent en route avec leurs deux fils. Après une année de voyage, ils décident de faire halte à San Tiburcio, un village mexicain au bord de l’océan Pacifique. Ils mènent une existence paisible, entourés des villageois et des touristes de passage, jusqu’au jour où Christelle rencontre une mystérieuse femme…

Même si un souffle de liberté parcourt ce roman, La Patience du serpent est bien plus qu’une invitation à prendre le large. Il évoque l’exil, la terre natale qu’on laisse derrière soi, et aussi le regard neuf que l’on porte sur la nature, lorsqu’on se confronte à elle pour la première fois.
Entretien avec Anne Brécart.

Anne Brécart, La patience du serpent, Editions Zoe, 2021

Comment a germé l’idée de ce roman ? 

Anne Brécart : Ma fille est partie pour un voyage autour du monde il y a quelques années. Pour elle cela semblait une évidence : ailleurs cela ne pouvait être que mieux. Cette foi, cette confiance m’ont beaucoup surprise. 
En même temps, je faisais l’interview au long cours d’un réfugié kurde, je voulais écrire sa biographie. Il souffrait beaucoup de son exil. J’ai eu envie de confronter ces deux idées de l’ailleurs. L’ailleurs désiré, l’ailleurs imposé.
Au Mexique vivent des familles dont les ancêtres ont fui le nazisme. Comme mon roman devait se passer au Mexique j’ai échangé le Kurde contre la famille de juifs praguois ainsi Christelle pouvait croiser le chemin de la famille Engel.

L’histoire est centrée sur le personnage de la mère, Christelle. Qu’attend-elle de cette nouvelle vie ?

Je pense qu’elle imagine pouvoir échapper à une certaine routine induite par le fait d’avoir des enfants. Et aussi qu’elle pense pouvoir éviter la confrontation à la vie d’adulte qu’elle suppose toute tracée. Elle poursuit un paradoxe. Entrer dans la vie adulte sans jamais y entrer. Rester mobile peut donner l’illusion de ne pas vieillir, comme si les changements de la route nous permettaient de rester éternellement jeunes. 

La nature est omniprésente dans votre roman. Quel rapport les personnages entretiennent-ils avec elle ?

Ils sont tous plus ou moins fascinés par elle. Quoique « fascinés » ne soit pas le bon mot. Ils sont façonnés, pris à bras le corps par elle, elle leur entre par les yeux, les pores, elle les prend, les secoue, les berce, elle les modifie profondément. Ceci est dû à la puissance de la nature mais aussi au mode de vie en contact permanent avec elle. Beaucoup des néo nomades que j’ai rencontrés sont à la recherche de la nature sauvage; ils cherchent un contact proche et mystique avec elle, en attendent une vraie réassurance. 

Le refus est ce qu’ils ont en commun. Ils n’ont plus l’intention de remplir le programme, de faire ce qu’on attend d’eux. Ils ont décidé un jour, une nuit, dans le secret de leur coeur, qu’ils ne voulaient pas continuer à vivre une existence qui leur paraissait dénuée de sens. Et ils sont partis sans autre projet que de changer de vie.

Ce voyage géographique est également un voyage à l’intérieur de soi. Était-il nécessaire de partir pour en faire l’expérience ? 

Dans mon idée oui. Je n’imagine pas que cette initiation, cette connaissance de soi ait pu se faire autrement et ailleurs que dans le voyage. Ou du moins en sortant totalement de la vie occidentale urbaine où l’expérience du danger physique, de la fatigue physique, de la confrontation avec la nature a si peu de place. Je crois que le corps nous apprend autant sur notre intimité, notre intériorité que les grandes cogitations immobiles ou les émotions intériorisées.

Note : 4 sur 5.

La Patience du serpent
Anne Brécart
Editions Zoé, 2021, 192 pages.