Sa Majesté des MOUCHES

Natalia Garcia Freire, crédit photo Maria Garcia Freire Natalia Garcia Freire, crédit photo Maria Garcia Freire

L’auteure équatorienne Natalia García Freire signe un premier roman gothique, Mortepeau, hymne à la terre, aux insectes et aux fantômes. Envoûtant et poétique.

Une voix chargée de reproches s’élève dans la pénombre de la nuit. Lucas s’adresse à son père, enterré à la hâte dans le jardin de la maison familiale. Le garçon revient sur les événements qui ont provoqué la chute des siens et amené à la perte de cette magnifique demeure, autrefois entourée d’un jardin qu’entretenait sa mère.

Je ne crois pas que mon défunt père m’observe. Mais son corps est enterré dans ce jardin, ce qui reste du jardin de ma mère, entouré de limaces, d’araignées-chameaux, de lombrics, de fourmis, de coléoptères et de cloportes.

À travers ce monologue, l’auteure nous emmène dans l’imaginaire de Lucas, passionné d’entomologie, d’herboristerie et de botanique. Cette obsession, il la partageait avec sa mère, avant qu’on la déclare folle, jugeant peu orthodoxe son intérêt pour l’infiniment petit, et sa passion pour les plantes non conforme aux préceptes de l’Église. Le père de Lucas et le Père Hetz ont tranché : le monde n’est pas là pour attiser la curiosité, mais il faut le contempler avec modération. La mère sera donc mise « au calme », isolée dans une pièce sombre, puis envoyée dans une institution.

Après le départ de la mère, la maison sombre dans la décrépitude et le jardin est laissé à l’abandon. C’est désormais Lucas qu’on tient à l’écart. Haïssant son père, haï par lui, il quitte la maison, fait son lit sur la terre humide, se nourrit d’herbes et de racines et constitue sa propre famille, une fratrie de mouches, de lombrics, d’araignées et de scorpions. Il épie les siens, se cache, attend son heure. Jusqu’au jour où il décide de changer le cours des choses…

Plus qu’une histoire de famille, Natalia García Freire invente une atmosphère extrêmement particulière, obscure et poisseuse, peuplée de fantômes et de personnages étranges, grouillant d’insectes, suintant d’humidité. Le fantastique côtoie la pratique religieuse, la mort grignote le vivant, le répugnant devient fascinant. Il y a de l’onirique et du cauchemardesque dans ce récit, et de la poésie également, un hommage à l’infiniment petit, à l’univers du minuscule et du fourmillant. Une façon gothique de saluer la beauté de la nature.

Note : 3 sur 5.

Mortepeau
Natalia García Freire
Isabelle Gugnon (traduction)
Christian Bourgois, 2021, 160 pages.