« Rien à déclarer », selon Richard Ford

Richard Ford, 10 Septembre 2016, Paris (c) Eric Garault / Pasco

Dans le recueil de nouvelles Rien à déclarer, l’écrivain américain Richard Ford raconte magistralement dix histoires d’hommes et de femmes qui dressent le bilan de leur vie. Le ton est mélancolique et juste. Du grand art.

Un homme croise par hasard une femme qu’il a aimée des années auparavant et tente de se remémorer ce qui l’avait attiré en elle. Une femme dont le mari vient de mourir se souvient de leur vie et des moments qu’ils ont passés avec leurs amis. Un adolescent de seize ans emménage avec sa mère dans un nouveau quartier après la mort de son père et est intrigué par les occupants d’une maison voisine. Un homme dont l’épouse est décédée décide de louer une maison proche de celle qu’ils avaient l’habitude de louer l’été. Avant tout, Richard Ford s’attache aux vies ordinaires qu’il décrit dans toute leur complexité et interroge : qu’a-t-on compris de ce qu’on a vécu ? Quelle place tient-on dans la vie des autres ?

Les personnages, des hommes principalement, tous d’âge mûr, évoluent dans un même milieu social éduqué et aisé. Ils sont avocats ou écrivains et voient la vie avec calme. Peut-être peut-on déceler une ressemblance avec leur auteur à qui il arrive d’utiliser sa vie personnelle comme matériau de fiction en ce qu’elle contribue à sa recherche d’authenticité. Mais la ressemblance s’arrête là. Les nouvelles de Rien à déclarer n’ont rien d’autobiographique. Richard Ford fait montre d’une maîtrise de la fiction qui le place au niveau de ces écrivains qu’il admire, Alice Munro et James Salter. Avec tranquillité, il se saisit de l’instant présent pour dérouler l’histoire. Une rencontre, une conversation sont l’occasion pour un personnage de se retourner sur un passé d’où surgissent les regrets et les remords. Pour d’autres, elles permettront de se saisir d’une part d’eux même.

En quelques mots, en quelques pages, Richard Ford retrace avec justesse une vie et ses regrets, ses bonheurs aussi. Tout arrive sans bruit et à un rythme apaisé. Aucune histoire n’est simpliste, rien n’est su d’avance. « Quand j’ai l’impression que mes héros commencent à suivre un chemin tout tracé, qu’ils dialoguent comme ils devraient dialoguer, et que le récit tend vers le cliché ou la sagesse populaire, je pars dans une autre direction », a déclaré Richard Ford dans une interview donnée à L’Obs. Son ironie détachée vient piquer la nostalgie et la profondeur du texte et lui donne un équilibre.

La vie – du jour au lendemain ou presque – se ramenait désormais à ça. Guère plus.  Ses projets adoptaient une échelle plus modeste, ou bien se réduisaient à rien. Des voyages étaient envisagés puis remis à plus tard. Des amis étaient invités à Watch Hill, mais l’invitation était reportée d’une manière ou d’une autre. […] En un mot, Mick avait tout simplement pris un coup de vieux […] Il jouait au Speed Scrabble avec le premier venu […], buvait des martinis et regardait les chaînes de la BBC à la télé.

Richard Ford raconte l’Amérique en clair-obscur. Lui qui a vécu à la Nouvelle-Orléans, dans le Maine, et le Michigan raconte les hommes et les femmes de ces États-là. Et à travers eux, il décrit le cynisme de son pays, le fossé entre les Blancs et les Noirs, entre les grandes villes et le monde rural.

Les dix nouvelles de Rien à déclarer sont magistrales. L’écriture de Richard Ford est d’une justesse impressionnante, mélancolique aussi. Assurément, c’est du grand art.

Note : 5 sur 5.

Rien à déclarer
Richard Ford
Josée Kamoun (traduction)
Éditions de l’Olivier, 2021, 375 pages.