Antoine Desjardins a quitté temporairement le Québec pour venir passer quelques jours en Nouvelle-Aquitaine. À Audenge, sur le bassin d’Arcachon, il a d’abord rencontré des collégiens, puis un peu plus tard des lecteurs de la médiathèque. Rencontre avec un écrivain qui place l’homme au cœur de la problématique environnementale.
Antoine Desjardins l’annonce d’emblée à la classe du collège Jean Verdier avec laquelle il va passer une heure : c’est une rencontre, pas un cours magistral. Le Québécois, ancien enseignant, est plutôt à l’aise devant les collégiens, même si la culture de l’enseignement « à la française », plus descendante et moins participative, le surprend. Mais les élèves ont été préparés à cette rencontre. Ils ont lu Générale, une des nouvelles de son livre Indice des feux et ont des questions sous le coude.
De la fabrique du texte à ses pratiques d’écriture, en passant par le choix du nom du personnage principal et ses sources d’inspiration, son état d’esprit pendant l’écriture, les sujets de discussions sont nombreux. Il faut dire que le personnage d’Angèle, personnage principal de la nouvelle Générale, est un personnage fort, c’est « une amante de la nature en version dure à cuire ». Elle s’oppose à un projet de pipeline, défend les terres familiales, soigne des animaux blessés. « Elle est prête à tout pour défendre son coin de pays ». Angèle est inspirée d’un personnage réel et à travers elle, Antoine Desjardins pose la question de la limite des possibilités d’un individu. Si la chute de la nouvelle a intrigué – pourquoi avoir choisi l’interrogation finale ? – l’auteur s’en explique. « Je ne voulais pas d’une fin avec une morale. Je ne voulais surtout pas de morale de l’histoire. Je voulais que les lecteurs s’approprient la chute et s’interrogent ».

La discussion est ouverte, libre. Et la simplicité d’Antoine Desjardins rend le moment agréable. Les élèves l’interrogent sur les oies, les arbres de la nouvelle, et la couverture flamboyante. L’occasion pour l’auteur de parler de l’environnement au Canada. Et d’expliquer le titre Indice des feux. Étrange pour un livre dans lequel il n’y a pas de feux, mais plutôt de l’eau, de la neige ? « Le feux est métaphorique. L’indice des feux, c’est une information donnée à l’entrée de chaque parc national au Canada. Il indique un degré de danger à faire un feu en plein air selon l’état de sécheresse de la végétation. Avec ce titre, j’ai voulu jouer sur le sens et aussi avec l’expression « il n’y a pas de fumée sans feu ». Il y a plusieurs dangers, la montée des eaux, la fonte des glaces, les feux de forêt ».
Un livre de nouvelles

C’est à pied qu’Antoine Desjardins se rend ensuite à la médiathèque d’Audenge, pour profiter d’une petite heure de liberté et de l’air iodé du bassin. Avec les membres du cercle des lecteurs, l’ambiance est aussi détendue et la discussion s’engage facilement. Le genre de la nouvelle déconcerte souvent les Français. Pour l’auteur, ce n’est pas un genre mineur. Dans une nouvelle, « il n’y a pas de remplissage. Une nouvelle, c’est comme un expresso. Et le roman, ce serait un americano. Il n’y a pas d’eau ni de lait dans un expresso. La nouvelle est fulgurante. Elle ne perd pas de temps ».
Indice des feux n’est pas un recueil de nouvelles. Antoine Desjardins n’a pas écrit des nouvelles dispersées qu’il aurait ensuite rassemblées dans un recueil. C’est un livre unique composé de nouvelles. « C’est un drôle d’objet, je le reconnais ». Toutes écrites à la première personne du singulier, les nouvelles interpellent. En utilisant le « je », Antoine Desjardins offre une place à l’expérience individuelle. « C’est une prise de parole. La littérature doit porter ça. Si seule la science parlait du changement climatique, il nous manquerait de gros morceaux : comment le changement climatique impacte notre rapport à la famille, à l’avenir. On ne réglera pas ça avec un tableau Excel et des formules ». La littérature ouvre un accès aux émotions, à l’humain qu’Antoine Desjardins met au cœur des changements environnementaux.
L’humain au cœur des problématiques environnementales
Chaque nouvelle offre un écho entre un fait mettant en péril l’écosystème et sa réception par l’humain, son effet sur la vie intime. Couplet est le nom d’une baleine noire qui a réellement existé. C’est aussi le titre de la deuxième nouvelle d’Indice des feux. Couplet, la baleine, est morte après avoir été prise dans un filet de pêche, ce qui suscita alors un vif émoi car cette baleine était particulièrement fertile. Antoine Desjardins construit un parallèle avec un couple qui s’interroge sur son avenir, questionne sa relation à la famille. Il interroge nos paysages intérieurs profonds et agités. L’intime est abordé de manière universelle.
Il faut prendre soin, mon homme. Prendre soin de tout, en particulier de ce qui est en train de disparaître.
La dernière nouvelle, Ulmus Americana, aborde en arrière-plan la question de l’acharnement thérapeutique. Un grand-père, très attaché à un arbre, prend soin de l’environnement sans chercher à le contrôler. « Cette logique du soin est la clé de tout. Le soin, c’est si simple. Si on avait ce genre de relations avec les autres, on serait vraiment meilleurs. On serait dans un monde plus équitable, plus humain ».
L’autodérision, très présente dans l’écriture d’Antoine Desjardins, donne une énergie aux nouvelles, comme dans À boire debout. Ce texte fort, écrit en joual (français populaire canadien), suscite des discussions autant pour la dureté du sujet, un adolescent malade observe la vie depuis son lit d’hôpital, que pour la langue. Ouvrir un ouvrage littéraire avec un texte en joual est un parti pris de l’auteur. « Quand mon grand-père est né, on s’appelait « Canadiens français ». On était des sous-Canadiens. Le mot « Québécois » n’existait même pas. La langue, notre culture, nous l’avons conquise ».
La journée de rencontres à Audenge avec Antoine Desjardins se termine. Sans jugement et sans complaisance, avec nuance et tendresse, il a répondu aux questions, expliqué ses choix. Assurément, Antoine Desjardins est une belle voix de la littérature francophone.
NDLR : les deux rencontres ont été organisées par le festival Lettres du monde.