Écrit par la plus jeune des sœurs Brontë, Agnès Grey est un roman d’apprentissage largement inspiré de l’expérience de gouvernante de son auteure. Une découverte instructive des conditions d’exercice des gouvernantes, l’un des rares métiers ouverts aux femmes dans l’Angleterre victorienne.
Agnès Grey a dix-neuf ans lorsqu’elle quitte sa famille pour aller exercer comme gouvernante dans des familles fortunées. Bien qu’elle ait reçu une éducation – elle est fille de pasteur -, la jeune fille n’est que trop peu préparée à l’éducation d’enfants pour le compte de gens peu respectueux voire méprisants. Les débuts sont rudes. Mais ses qualités personnelles, la patience et la perspicacité notamment, l’aideront à surmonter les épreuves et à avancer dans la connaissance de soi et de son métier.

Publié en 1847, Agnès Grey est le premier des deux romans écrit par Anne Brontë. Même s’il n’a pas la fulgurance des Hauts de Hurlevent ou la puissance de Jane Eyre, de ses deux sœurs Emily et Charlotte, ce roman « mérite amplement d’être lu en tant que fiction novatrice en même temps que comme un document illustrant ce qu’était la position de gouvernante à l’époque victorienne », selon François Laroque qui signe la préface.
Conçue comme le journal d’une gouvernante, la narration à la première personne offre un témoignage effarant de la réalité du travail au sein de familles peu scrupuleuses. La gouvernante y est considérée comme quantité négligeable par ses employeurs. Anne Brontë en profite pour brosser une satire sociale où elle montre les travers de parents abandonnant rapidement leurs principes devant la possibilité de se voir échoir un titre nobiliaire ou quelques avantages financiers. Pour certains critiques d’aujourd’hui, Agnès Grey est un roman féministe qui montre comment une jeune femme tente de trouver sa place dans la société.
Agnès Grey laisse une grande place à la morale victorienne et surtout à la religion. « La source d’inspiration la plus importante de ce roman est incontestablement la Bible », pour François Laroque. Fille de pasteur, Anne Brontë grandit au milieu de la religion et… des deuils. Sa mère meurt d’un cancer alors qu’elle est âgée de trois mois ; elle connaîtra à peine deux de ses sœurs, Maria et Elizabeth. Mais surtout, elle tombe gravement malade à dix-sept ans, maladie doublée d’une crise religieuse aiguë. La religion devient alors un soutien moral pour Anne Brontë qui fait d’Agnès Grey un personnage (très) vertueux, tout en retenue.
Anne se différencie de ses sœurs Emily et Charlotte par sa douceur. Certains pointeront son manque de charisme, ce qui peut sembler injuste. À la fois roman d’apprentissage, éloge de la nature et peinture minutieuse de la société victorienne, ce roman de jeunesse – elle n’a que vingt-six ans quand elle l’écrit- mérite d’être découvert pour ce qu’il est : un premier roman.
Agnès Grey
Anne Brontë
Ch. Romey et A. Rolet (traduction)
Le Livre de poche, 2021, 352 pages.