« De l’or dans les collines », un WESTERN lyrique

C Pam Zhang (c)Cayce Clifford for The New York Time

Avec De l’or dans les collines, C Pam Zhang décrit un Ouest sauvage où deux jeunes filles d’origine chinoise vont faire l’apprentissage du racisme et de l’adversité. Un roman original qui donne (enfin) une visibilité à l’immigration chinoise au 19ème siècle rarement traitée dans la littérature.

La scène d’ouverture du premier roman de C Pam Zhang est bouleversante. Deux sœurs d’origine chinoise, Lucy et Sam, âgées de douze et onze ans, doivent enterrer leur père. Désormais seules dans cet Ouest violent, elles s’accordent toutes les deux à respecter la tradition que leur mère, elle aussi décédée quelques années plus tôt, leur a enseignée : fermer les yeux du défunt avec deux pièces en argent pour lui assurer un passage apaisé dans l’au-delà. Mais cet argent, elles ne l’ont pas. Ba, leur père, le buvait et ce n’est pas son maigre salaire de mineur dans une mine de charbon qui lui a permis de l’économiser. Après s’être adressées à un banquier qui ne leur offre que son mépris, elles prennent la décision d’enterrer leur Ba comme elles l’entendent, sans l’aide de personne. Elles volent un cheval et mettent cap à l’ouest à la recherche d’un endroit où il pourra se sentir chez lui.

Ainsi commence l’aventure de Lucy et Sam, véritable voyage initiatique au cœur de l’Ouest américain et de sa population nouvellement constituée. De l’or dans les collines est autant un roman de formation qu’un western. Si la recherche du lieu où leur père pourrait se sentir « comme chez soi » les confronte à elles-mêmes, à leur désir, à leur choix de vie, le roman convoque aussi les figures « classiques » du western : les bisons, la poussière, les pluies diluviennes comme les incendies meurtriers.

L’immigration chinoise enfin visible

L’originalité du roman de C Pam Zhang est de donner une visibilité à des visages que la littérature sur l’Ouest a peu traités voire invisibilisés : la population chinoise immigrée, qui arrive par bateau en Californie à partir du milieu du 19ème siècle. En cela, le roman revisite le mythe de la ruée vers l’or en donnant la parole à d’autres personnages que les habituels hommes blancs et prostituées que l’on croise dans ce genre de récit. L’auteure introduit finement le thème du racisme en évitant de multiplier les insultes attendues (« chinetoques ») et en le faisant reposer sur une erreur de jugement.

Des contremaîtres d’un chantier de construction de chemin de fer prennent contact avec un homme aux traits asiatiques vivant dans un campement californien dans un assez grand dénuement pour lui proposer d’accompagner deux cents migrants chinois arrivant par bateau. Cet homme est le père de Lucy et Sam, leur Ba. Il n’est pas chinois, plus vraisemblablement autochtone. Mais l’ignorance et les raccourcis n’encombrent pas la pensée des deux contremaîtres qui l’embauchent et lui demandent d’assurer la communication entre les immigrants chinois et leurs employeurs. Ce qu’il fera et lui permettra de rencontrer la mère de ses filles.

« Que veut dire chez soi quand Ba leur a fait vivre une vie si remuante ? Il entendait s’enrichir d’un seul coup et, toute sa vie, les a poussés comme une tempête dans leur dos. Toujours vers la nouveauté. La folie. La promesse d’une fortune et d’une splendeur soudaines. Pendant des années, c’est l’or qu’il a cherché, des rumeurs de terres disponibles, des filons inexploités. Toujours ils découvraient à leur arrivée les mêmes collines ravagées, retournées, les mêmes cours d’eau jonchés de décombres. »

Si l’appartenance sociale est un thème de ce roman, la question de l’environnement est aussi présente, une nouvelle manière de faire apparaître les territoires de l’Ouest et leur histoire dans la littérature. Le massacre de la population de bisons dont les os affleurent du sol est souvent évoqué comme les ravages de l’industrie minière naissante.

Deux destins de femmes

C Pam Zhang, avec les personnages de Sam et Lucy, décrit deux destins de femmes, deux attitudes face au racisme et à l’adversité. Si Sam est tout de rébellion et aventureuse, Lucy respecte les règles. Si Sam décide de poursuivre la vie qu’elle vivait avec son père, de mines en mines à la recherche d’un filon d’or qui n’existe peut-être pas, Lucy se dirige vers la ville de Sweetwater pour s’y établir. À côté de la figure du père affaibli par la misère, la pauvreté et les déconvenues, et de celle de la mère absente dont il ne reste que des souvenirs, Sam et Lucy sont des personnages forts qui se créent, s’inventent.

L’auteure introduit dans ce roman de formation une thématique très contemporaine : la sexualité. Sam est née fille mais sous différentes impulsions se travestit en homme.

Le propos moderne est accompagné d’une construction originale, en quatre parties à la chronologie désordonnée, chaque partie étant composée de chapitres ayant les mêmes titres : vent, eau, prune, viande, boue, sel, et or. Autant de thèmes qui poursuivent les deux héroïnes, sans jamais se ressembler exactement, que l’écriture à la fois lyrique et ciselée de C Pam Zhang déroule avec fluidité. Même si la dernière partie peine à trouver son rythme, le roman est captivant. Cette version modernisée de la ruée vers l’or offre un point de vue inédit sur cette période de l’histoire et crée des personnages féminins attachants dont la force et l’intelligence en font des modèles. C Pam Zhang est assurément une auteure à suivre.

Note : 4 sur 5.

De l’or dans les collines
C Pam Zhang
Clément Baude (traduction)
Le Seuil, 2022, 328 pages.