Avec La vallée des fleurs, son second roman, la jeune écrivaine Niviaq Korneliussen aborde la douloureuse question du suicide chez les Groenlandais. Dans une langue crue, sans compromis, elle s’empare de ce sujet de société encore tabou.
Le taux de suicide au Groenland est l’un des plus élevé du monde bien que les chiffres exacts ne soient pas publiés par les autorités pour une raison qui laisse interdit – « les Statistiques du Groenland ne peuvent pas officialiser le nombre de suicides parce que la police et le médecin local n’ont pas les mêmes chiffres ». Le suicide serait même devenu « une culture » selon un journal danois. Silence du côté des autorités groenlandaises et tentative de le faire passer pour un geste culturel de la part des Danois : peut-on faire mieux pour mettre sous le tapis un sujet aussi grave ?
Niviaq Korneliussen, écrivaine tout juste trentenaire, a délibérément choisi de le mettre sur la table en en faisant le sujet de son dernier roman, La vallée des fleurs. Sa narratrice, une jeune femme homosexuelle groenlandaise revient en urgence du Danemark où elle était partie étudier quelques mois plus tôt, pour assister à l’enterrement de la cousine de son amie qui vient de se suicider. Très sensible, déstabilisée par les préjugés des Danois sur les Groenlandais qu’elle a pris de plein fouet pendant son séjour universitaire et fragilisée par une quête de soi dans laquelle elle se perd parfois, son monde bascule au fur et à mesure que le passé resurgit. Prise dans un flot de pensées bouleversantes qui convoquent le mythe du Qivittoq et sa propre tentative de suicide quelques années plus tôt, elle s’attache néanmoins à essayer de comprendre les raisons de ce geste.
Ce qu’elle va découvrir est assez terrifiant : les Groenlandais souffrant de dépression sont livrés à eux-mêmes, au mieux peuvent-ils bénéficier d’un soutien téléphonique (à condition de respecter les horaires de permanence du service d’aide psychologique).
Avec La vallée des fleurs, Niviaq Korneliussen poursuit son récit du Groenland et de son peuple, récit qu’elle avait commencé avec le formidable Homo Sapienne, premier roman inuit queer de l’histoire. Dans une langue crue et contemporaine qui contribue à ancrer le récit dans son époque – elle manie l’anglais comme les SMS –, elle écrit ces sentiments que les Groenlandais préfèrent taire. Le regard franc qu’elle pose sur la société, sans cligner des yeux, contribue à affirmer l’importance de littérature pour dire, raconter, la société et ses maux.
Si La vallée des fleurs n’a pas la puissance d’Homo Sapienne et que la narration manque de précision malgré un audacieux chapitrage à rebours, il n’en est pas moins un très beau roman sur l’amitié et l’amour. Avec ce deuxième roman, Niviaq Korneliussen confirme son statut d’auteur sans compromis.

La vallée des fleurs
Niviaq Korneliussen
Inès Jorgensen (traduction)
La Peuplade, 2022, 384 pages.