La romancière de langue allemande Iris Wolff retrace l’histoire d’une famille germanophone originaire d’un village de Roumanie. Des vies racontées sur fond d’histoire européenne, avec pudeur et une infinie délicatesse.
Avant d’émigrer en Allemagne avec sa famille en 1985, Iris Wolff a vécu les premières années de sa vie en Transylvanie. C’est dans cette région du centre ouest de la Roumanie qu’elle choisit d’ancrer l’histoire de son quatrième roman, Le flou du monde, le premier traduit en français. Quatre générations d’une famille appartenant à la minorité germanophone s’y succèdent, d’une période allant du règne de Michel Ier à la chute de Ceausescu et à l’effondrement du bloc de l’Est.
Le flou du monde commence comme un conte : une femme part en traîneau sous la neige pour donner naissance à un petit garçon, Samuel. Cette femme, c’est Florentine, la femme calme et taciturne de Hannes, le pasteur en charge de la communauté allemande d’un petit village du Banat. Cette trinité constitue le socle de l’histoire familiale imaginée par Iris Wolff. Une famille unie et heureuse, comme il est possible de l’être sous la dictature de Ceausescu qui menace Hannes jusque dans les prêches prononcées devant ses fidèles. Le climat politique se fait de plus en plus pesant.
Après la bénédiction finale, le pasteur dit au revoir aux fidèles près de la porte. Stana remarqua que seule sa mère lui serra la main. Les soirées de bridge s’interrompraient encore quelque temps. Dans l’intervalle, sans aller jusqu’à éviter son père, les gens garderaient leurs distances, et pendant des jours et des semaines.
Lorsque Oz, l’ami de Samuel, est contraint de fuir la Roumanie afin d’éviter la prison, Samuel n’hésite pas une seconde. À l’aide d’un petit avion, ils s’envolent pour l’Allemagne, laissant derrière eux leurs familles et la Roumanie. Pris dans le flux d’une Europe en pleine mutation, les personnages décrits par Iris Wolff partent et reviennent, quittent et retrouvent les leurs. La question des racines et des liens qui unissent les membres d’une même famille, de coeur ou biologique, constitue le socle du roman Le flou du monde dont Samuel incarne la figure tutélaire.
Cependant, Iris Wolff construit son récit en glissant d’un personnage à l’autre : chaque chapitre a pour acteur principal un membre de cette lignée familiale et constitue un embryon d’histoire. L’auteure esquisse les portraits de différents personnages qui se révèlent par petites touches successives, ce qui peut agacer le lecteur impatient. C’est à lui en effet que revient la tâche de reconstituer le puzzle de ces vies, d’achever la fresque, de combler les silences. Un peu de patience est nécessaire pour définir les contours du roman Le flou du monde où infuse une douce nostalgie contemplative.

Le flou du monde
Iris Wolff
Claire de Oliveira (traduction)
Grasset, 2022, 240 pages.