Avec Le Signal, Sophie Poirier signe un récit poétique sur sa relation à un immeuble emblématique du littoral aquitain. Entre documentaire et fiction, entre passé et présent, entre performance artistique et contemplation, l’auteure raconte la vie. Un récit sobre et élégant sur la beauté et l’amour.
Depuis cette journée de novembre 2014 où elle entre par effraction dans Le Signal, Sophie Poirier n’est plus tout à fait la même. Dorénavant, cet immeuble que d’aucuns à Soulac-sur-Mer surnomment « la verrue », cette barre de béton de quatre étages en front de mer qui rappelle les HLM de nos banlieues urbaines fait partie de sa vie. De ce lieu de vacances à l’esthétique des années 70, Sophie Poirier en a fait un objet de poésie et de création artistique.
Avec le photographe et vidéaste Oliviez Crouzel, qui signe de belles photographies reproduites en noir et blanc à la fin du livre, elle a conçu plusieurs performances dès 2015. Mêlant une vidéo-projection et la lecture du texte 46 fois l’été qu’elle a écrit, La marée du siècle a marqué les esprits. « La verrue » devenait un objet d’art et de poésie. Cette performance a été suivie de plusieurs autres, Le Signal/Souvenir en 2020, Dix-huit rideaux et Appartement témoin. Il manquait un écrit littéraire. C’est chose faite.
Le témoin du changement d’époque
L’immeuble Le Signal a été construit en 1970 à une époque où l’homme se posait en spectateur contemplatif de la nature. Sa position sur le littoral est volontairement dominante et à l’écart de Soulac-sur-Mer où s’alignent encore de belles villas art déco qui font le charme de cette station balnéaire. Depuis les appartements, la beauté de la vue sur la dune et l’océan est à couper le souffle, toujours la même et pourtant différente. La nature semblait alors immuable.
Lors de sa construction, on vantait le progrès que l’on pensait plus fort que tout, les dalles en amiante dans les salles de bain, la construction de digue pour contrecarrer l’ensablement et les assauts de l’océan. « Aujourd’hui, Le Signal ne nous donne pas ce message : l’environnement n’est pas une bataille. Il faut penser les choses autrement. »
L’histoire du Signal est de dire que la responsabilité est collective
Sophie Poirier transcrit avec justesse dans ce récit le sentiment de fragilité qui domine aujourd’hui. Les appartements sont vidés de leurs meubles, de la vie, comme « abandonnés ». En même temps que notre rapport à la nature évoluait de la contemplation passive à une forme liant la nature et l’action de l’homme, Le Signal est devenu le symbole de l’érosion littorale et ses habitants les premiers réfugiés climatiques de France.
L’histoire d’un amour
« Ici on a été heureux » raconte un tag sur un mur de l’immeuble. Expulsés en juin 2014 par arrêté préfectoral, les propriétaires laissent derrière eux des appartements plus ou moins vides, régulièrement visités par des inconnus attirés par la friche. Et des poètes… Sophie Poirier est de ceux-là. Si elle s’intéresse au sort des habitants, c’est surtout pour en tirer une matière poétique. Lors de sa première visite, elle entre dans un appartement où deux chaises sont posées face à une fenêtre donnant sur la mer. « Avec Olivier [Crouzel, ndlr], on est entrés et on s’est assis. Il se passait quelque chose. Une émotion, de l’ordre de l’esthétique. Et cet abandon que l’on percevait déjà sans trop savoir où cela allait aller. »
À force d’y entrer en passant sous les grillages et de s’y promener, Sophie Poirier est « tombée en amour de cet immeuble » au point qu’elle en fasse une possession. Pour témoin, les quelques chapardages de chaises et autres objet qu’elle ramasse en fétichiste. Et cette jalousie qu’elle ressent lorsque Le Signal, son immeuble, fait la une de Libération…
La beauté des lieux
Malgré les destructions et le désamiantage qui ne laisse apparaître que le béton nu, la beauté de la construction lui saute aux yeux, toujours. Repeint en gris pour éviter aux poussières d’amiante de s’envoler, sans cloisons, « on voyait la mer à travers l’immeuble. Il est devenu très élégant, sur pilotis. » Le soleil couchant dorant la façade nue semble lui redonner une apparence au point que l’auteur ait la sensation de voir vibrer ce rectangle. « Il fabriquait quelque chose en lien direct avec le paysage. Cette beauté m’a à nouveau saisie. »
Il aura fallu plusieurs années avant que Sophie Poirier puisse écrire Le Signal et faire de son obsession pour cet immeuble une fiction poétique. Avec une narration plutôt documentaire dans un premier temps qui s’oriente vers la fiction dans la deuxième moitié du livre, l’imaginaire s’installe en cours de récit. Et l’écriture se fait plus intime au fil des pages.
Le Signal un récit sensible, poétique, de la relation de l’auteure avec cet immeuble témoin d’une époque et d’une conception des loisirs. Histoire d’un échec immobilier, d’une aberration écologique, d’un mode de vie qui n’est plus, symbole du changement climatique, histoire d’amour esthétique, Le Signal est tout ça. Il offre une poésie folle dont Sophie Poirier s’est saisie avec élégance.

Le Signal
Sophie Poirier
Editions Inculte, 2022, 120 pages