La barque silencieuse constitue le sixième tome du Dernier royaume, un projet littéraire plus vaste de Pascal Quignard amorcé avec Les ombres errantes (Prix Goncourt 2002). Retour sur cette œuvre hors du commun publiée en 2009.
Référence à la barque de Charon navigant sur le fleuve des Enfers, La barque silencieuse est une oeuvre dont la mort occupe la place d’honneur, sans pour autant être une oeuvre crépusculaire. Domestiquer la mort, la remettre à sa place, au centre de la vie, afin d’« apprivoiser l’abîme et s’en faire un compagnon », voila la démarche littéraire de Pascal Quignard.
Pour ce compagnonnage, l’auteur relate des événements liés au trépas de personnages célèbres, comme la mort de Mazarin, de Madame de La Fayette ou de Bossuet, celle d’anonymes ou même sa propre mort qu’il frôle en 1997 suite à une violente hémorragie. Sont ainsi évoqués les différents atours que revêt la fin ultime, qu’elle soit ordinaire ou surnaturelle, subie ou ardemment souhaitée, l’auteur redonnant au suicide sa valeur d’ultime liberté.
Un style bondissant
Composé de quatre-vingt-six chapitres, La barque silencieuse revêt une forme littéraire bondissante et sautillante, et c’est sans doute en cela qu’elle nous emporte et nous séduit. Convoquant tour à tour le conte, l’aphorisme, l’essai, le journal intime, l’anecdote historique, l’étymologie et la mythologie, Pascal Quignard invente « un genre où la biographie, le mensonge, la vérité […], la lecture, tout puisse se trouver mêlé, indémêlable, et dans lequel je n’ai pas à contrôler quoi que ce soit, dit-il. La seule règle que je dois respecter est l’imprévisibilité du chapitre qui suit. Il faut qu’à chaque fois il y ait un contraste. » Un style qui témoigne de la richesse des lectures de Pascal Quignard, l’auteur trouvant ça et là le terreau de son inspiration.
Un goût pour les mots
Dans ce voyage étymologique, littéraire et historique par-delà le temps et l’espace, Pascal Quignard rend hommage aux mots, ces mots qui lui ont autrefois fait défaut, comme ils se dérobent aux morts, désormais seuls et silencieux.
J’aurai passé ma vie à chercher des mots qui me faisaient défaut. Qu’est-ce qu’un littéraire? Celui pour qui les mots défaillent, bondissent, fuient, perdent sens.
La barque silencieuse témoigne de cet amour des mots qu’éprouve Pascal Quignard, comme celui pour le mot « corbillard », un coche d’eau qui transportait jadis les nourrissons sur la Seine. Ce goût pour la langue, l’auteur l’éprouve dans ses recherches et ses lectures, des moments qui font sens. Se retirer du monde, faire silence, éprouver la solitude du lecteur dans l’acte de lecture. Le langage s’accorde à le dire : « En chinois, Lire et Seul sont des homophones. Seul avec le Seul », dans une solitude heureuse.
Finalement, La barque silencieuse est une invitation à s’extraire du brouhaha du monde et à s’en détacher, une oeuvre magistrale qui invite le lecteur à se ressourcer et à s’assouvir de lectures nouvelles. Passeur de mots, passeur de textes, Pascal Quignard traverse le temps et l’espace et offre à la littérature l’un de ses joyaux.

La barque silencieuse
Pascal Quignard
Folio, 2011, 256 pages.