Le deuxième roman de Dima Abdallah, Bleu nuit dresse le portrait bouleversant d’un homme en proie à ses fantômes. Un récit dense et poétique sur la mémoire et l’impossibilité d’oublier.
Le narrateur, un journaliste en télétravail, vit cloîtré chez lui jusqu’au jour où il apprend la mort d’Alma. Il change alors radicalement de vie, décide de tout quitter et de vivre dans la rue. « Il se jette dans la rue comme on se jette d’un pont. » Il s’établit alors autour du cimetière du Père-Lachaise. Parce qu’il erre dans le quartier, il croise des femmes à qui il ne parle pas. Emma, Martha, Carla… Chaque rencontre rappelle un souvenir.
Si la guerre du Liban, celle-là même que Dima Adballah a fui à l’adolescence, est présente, c’est pour évoquer la difficulté à trouver sa place. Bleu nuit est le monologue d’un homme qui n’a pas réussi à trouver sa place dans un monde trop violent et qui est en guerre avec sa mémoire : il cherche à vivre pour oublier. Mais « Oublier est un acte involontaire. On ne peut pas vouloir oublier », rappelle l’auteure.
Sans domicile, dans cette situation de solitude poussée à l’extrême, le narrateur converse avec des auteurs et leurs romans sur des sujets qui font écho à sa vie. Il cite Proust et ses madeleines auxquelles il trouve « un goût amer », Baudelaire, Sartre, Aragon, … Pour finalement, dans le dernier quart du livre, écrire sur des carnets. « Pour un homme qui veut oublier, c’est un mauvais choix », s’amuse Dima Abdallah.
Au contact du monde, le narrateur va créer sa propre mémoire. Une mémoire sensorielle avant tout.
« Je crois que cette mémoire poétique est la plus puissante de toutes. Elle est invincible. Elle est faite de tout ce qu’on a senti et ressenti. Ce qu’on a vécu et ce qu’on a senti ne peuvent être séparés. Je dirais même plus : ce qu’on a vécu est avant tout ce qu’on a senti. »
Dima Abdallah explore la mémoire comme une archéologue : en fouillant, révélant une strate après l’autre. Dans ce récit rythmé, elle donne voix à un personnage angoissé, hypersensible dont les hallucinations se muent en visions poétiques. Superbe.

Bleu nuit
Dima Abdallah
Sabine Wespieser éditeur, 2022, 226 pages.