L’Aveuglement (par José Saramago)

Prix Nobel de littérature en 1998, l’écrivain portugais José Saramago imagine dans L’Aveuglement (1997) une épidémie qui frappe la population de cécité. Un conte métaphorique qui parle de notre société et des maux qui l’affectent.

Certains livres viennent parfois entrer en résonance avec l’actualité et sont à nouveau présentés sur les tables des librairies, des années après leur publication. Paris est une fête d’Ernest Hemingway est ainsi réapparu après les attentats du 13 novembre 2015, le roman Les abeilles grises d’Andreï Kourkov a fait l’objet de nombreuses réimpressions depuis le début de la guerre en Ukraine.

Durant le confinement et la pandémie de covid, La Peste de Camus a pris place sur la table de chevet de nombreux lecteurs, sort réservé également à L’Aveuglement de José Saramago, paru en 1997.

L’Aveuglement parle d’une société malade. Tout commence le jour où un homme devient aveugle au volant de sa voiture. Sans raison, sans signe avant-coureur, soudainement. « Il se trouvait plongé dans une blancheur si lumineuse et si totale qu’elle dévorait plutôt qu’elle absorbait les couleurs et aussi les objets et les êtres, les rendant ainsi doublement invisibles. » La maladie qu’on surnomme « mal blanc » est contagieuse et se répand dans tout le pays. Tentant de juguler l’épidémie, les pouvoirs publics parquent les personnes contaminées dans un asile d’aliénés désaffecté, à l’abri des regards, gardés par des soldats.

À l’intérieur, les aveugles sont livrés à eux-mêmes. On ne les approche pas, personne ne vient les soigner. La nourriture est déposée quotidiennement à leur intention, mais les rations sont insuffisantes. L’emprisonnement, la promiscuité, la saleté et la faim ont raison de ces humains séquestrés comme des bêtes. Sont-ils d’ailleurs encore des êtres humains ?

Dans des circonstances différentes, ce spectacle grotesque eût pu faire rire aux éclats l’observateur le plus grave, c’était à mourir de rire, certains aveugles avançaient à quatre pattes, le visage au ras du sol comme les porcs, bras devant eux pourfendant l’air, pendant que d’autres, craignant peut-être d’être engloutis par l’espace blanc loin de l’abri du toit, se cramponnaient désespérément à la corde en tendant l’oreille dans l’attente des premières exclamations qui ponctueraient l’arrivée des caisses.

Les instincts primitifs de certains prennent le dessus, exacerbés par la volonté de survivre, tandis que d’autres s’efforcent de ne pas sombrer dans la bestialité et la violence, à l’image de ce groupe mené par une femme qui n’a miraculeusement pas perdu la vue. Elle devient leurs yeux, leur guide et le bras de leur vengeance.

Lorsque les prisonniers parviennent à sortir à la faveur de l’incendie qui se déclare dans un bâtiment, la femme les aide à survivre et à conserver un semblant d’humanité dans une ville où les hommes se conduisent comme des hordes sauvages.

L’épidémie qui touche les individus dans L’Aveuglement est le prétexte invoqué par Saramago pour réfléchir à la nature profonde de l’homme, aux rapports entre êtres humains et, plus globalement, d’amorcer une réflexion politique sur l’organisation et le fondement de notre société.

En plus de son propos, le style utilisé par José Saramago constitue une des clés de son succès : les phrases sont riches, aucun retour à la ligne n’est fait pour marquer les dialogues. Les paragraphes sont rares. Les personnages n’ont pas de nom. De cette façon, l’auteur immerge le lecteur dans l’angoisse et la terreur, décrivant avec force détails la plongée de cette société dans le chaos. Un livre fort, difficile à oublier.

Note : 4.5 sur 5.

L’Aveuglement
José Saramago
Geneviève Leibrich (traduction)
Le Seuil, 1997, 303 pages.