La maison de Jean Giraudoux se renouvelle grâce au numérique

La maison natale de Jean Giraudoux à Bellac (Haut Limousin) investit le numérique pour partager la vie et l’œuvre de ce grand auteur de théâtre et de littérature. Nouvellement nommée La Digitale, elle propose une expérience muséale sensible et technologique qui vaut le détour.

« Quand je suis allée pour la première fois à Bellac, dans la maison de Jean Giraudoux, raconte Christelle Derré, metteure en scène, je l’ai trouvée si triste. » On est alors en 2018 et elle est invitée par le festival de Bellac qui lui a donné carte blanche pour mettre en scène une pièce de l’auteur, Sodome et Gomorrhe. Le spectacle qu’elle propose mêle effets technologiques, mapping et troupes d’acteurs. Joué en extérieur, avec pour cadre la façade de la maison, il donne un coup de fouet aux spectateurs et aux gardiens de l’œuvre de Giraudoux qui lui proposent un grand chantier : réhabiliter et moderniser sa maison natale.

Le numérique dans tous ses états (ou presque)

Il n’en fallait pas plus à Christelle Derré pour investir les lieux avec le Collectif Or NOrmes dont elle assure la direction artistique. Rompue à l’écriture théâtrale qu’elle lie au visuel, au musical, ou encore à la chorégraphie, elle reconnaît s’être « amusée à poser une proposition transmédia à l’échelle d’un homme et de sa vie ».

Et c’est réussi : le spectateur est au cœur d’un parcours spectatorial avec des installations et des dispositifs artistiques qui le transforment en « spect-acteur » au fur et à mesure de ses interactions avec les œuvres. Et des interactions, il y en a. Dans chaque pièce de la maison sont placés une installation ou un dispositif à vivre : au rez-de-chaussée, la table interactive offre une plongée dans une encyclopédie vivante de la vie de l’auteur et la table des communications permet d’écouter, avec un casque, les débats qui ont entouré des moments controversés de sa vie.

Au premier étage, le « spect-acteur » est accueilli par un buste qui prend vie grâce à un système de mapping vidéo et laisse entendre la voix de Jean Giraudoux; une expérience de réalité augmentée à partir d’affiches théâtrales publicitaires d’époque est rendue possible avec un smartphone. Au deuxième étage, une installation vidéo met en présence Ondine, personnage surnaturel et aquatique inventé par Jean Giraudoux, avec le visiteur quand, dans une autre pièce, des téléphones rouges présentent la vie intime et amoureuse de l’auteur.

Un regard novateur sur le contenu du musée

La présence d’acteurs, pendant les heures d’ouverture à la visite, complète la dimension transmédia de ce projet de réhabilitation et de modernisation. Ils assurent la consultation « giralducienne ». À partir d’un questionnaire rempli par les visiteurs devenus patients d’un jour, les comédiens, docteurs d’un jour, posent un diagnostic et délivrent une ordonnance destinée à revigorer leur santé littéraire !

L’aspect spectatorial proposé par le collectif de théâtre Or NOrmes s’accommode bien de l’œuvre de Jean Giraudoux qui n’hésitait pas à utiliser tous les moyens disponibles à son époque. « Je n’ai pas l’impression de travailler avec des nouvelles technologies, assure Christelle Derré, mais avec des outils de mon temps. »

Quand on écoute ses textes contre Hitler, sur le fait qu’il n’y a pas assez de femmes à l’Assemblée, sur son rapport à l’écologie, on découvre un homme moderne, en avance sur son temps. C’est un grand humaniste.

Christelle Derré

Une épine dans le pied

Taxé d’antisémite et de raciste pour son essai Pleins pouvoirs paru en 1939, Jean Giraudoux divise. La muséographie n’entend pas cacher ses propos nauséabonds, mais elle les contextualise, dans cette France alors à quelques mois de la guerre où les fascistes n’avancent plus masqués depuis pas mal de temps déjà. Le climat est délétère et Jean Giraudoux, qui fit une carrière dans la diplomatie française, s’embourbe. « On fait entendre les pires textes de Giraudoux pour que le visiteur puisse avoir son opinion ». Un passage délicat où il a fallu composer avec ce passé sombre sans toutefois s’en détourner. 

Les conditions de sa mort, le 31 janvier 1944, ne sont pas moins obscures. A-t-il été empoisonné par la Gestapo à l’aide d’un poison extrait d’une fleur, la digitale ? Quoi qu’il en soit, cet épisode trouble aura au moins permis de trouver le nom de cette maison-musée.

La Digitale, Maison natale de Jean Giraudoux donne à voir et à entendre le sensible dans les textes de cet auteur majeur du XXème siècle dont les pièces, Amphitryon 38, La guerre de Troie n’aura pas lieu, Ondine, La Folle de Chaillot, ont marqué leur époque au point de devenir des classiques du répertoire théâtral français. Avec seulement un buste représentant l’auteur, la priorité est donnée à l’œuvre et surtout à l’immersion dans l’œuvre.

En plein coeur de Bellac, charmante ville de Charente, il y a maintenant un lieu unique, contemporain qui propose une expérience originale. L’endroit idéal pour (re)découvrir Jean Giraudoux. Et pour ne rien gâcher, les visites sont gratuites tout l’été.