« Le Tiroir à cheveux » d’Emmanuelle Salasc

Emmanuelle Salasc (c) Bamberger

D’une écriture épurée, Emmanuelle Salasc raconte le quotidien d’une jeune mère de deux enfants, dont l’un lourdement handicapé. Un récit doux-amer, délicat et sensuel.

On entre dans ce roman par les sensations. Une jeune femme d’à peine 18 ans rafraîchit le corps de Titouan, son petit enfant qui transpire. Elle « met de l’air sur son torse », caresse ses cheveux dont « la frange en désordre a la couleur des mains gourmandes noircies par les châtaignes ». Les cheveux de son fils aîné de cinq ans, Pierre ont des nuances plus claires, et « les blonds dorés se faufilent sur et sous les blonds nacrés ». Les cheveux la fascinent, ceux de ses fils comme ceux des garçons qu’elle fréquente et des gens qu’elle côtoie. Ce n’est pas un hasard si elle travaille dans un salon de coiffure et shampouine les têtes, masse, démêle et embellit les cheveux : elle cultive avec soin ce lien sensuel et sincère qu’elle tisse avec les autres.

J’aime les cheveux, même gras, rêches, épais. Mats, soyeux, souples au toucher, moites. J’aime toucher les cheveux. Regarder de près leurs formes, leurs couleurs, leurs textures. Et m’approcher des têtes, par derrière, par côté. J’aime surprendre les mouvements des mèches. Les renifler en douce.

Candide et peu instruite, elle a quitté l’école à 15 ans pour s’occuper de son fils Pierre, son « bout de lune », un enfant vivant mais absent au monde, atteint d’un lourd handicap de naissance. Les premiers temps, elle vit à la gendarmerie avec ses parents, puis occupe ensuite un minuscule appartement qu’elle loue grâce à son salaire de coiffeuse. Les garçons de son âge abusent de sa candeur, les femmes de la gendarmerie la jugent sévèrement, mais elle mène sa vie comme elle peut, au jour le jour, tentant de fonder avec ses fils un semblant de famille, la sienne propre, aussi fragile et bancale soit elle.

Le handicap de Pierre, omniprésent, n’est jamais réellement nommé. Il est là, c’est ainsi. La jeune mère l’éprouve au quotidien, à travers le regard des autres et la difficulté qu’elle éprouve à communiquer avec cet enfant aveugle et sourd. Ce corps « lourd et encombrant l’embarrasse », elle le (sup)porte comme elle peut, au propre comme au figuré, et c’est déjà bien.

Le portrait de cette jeune femme est délicatement dessiné par Emmanuelle Salasc, d’une écriture à la fois simple et sensible. Les phrases sont courtes, les mots traduisent le réel, sans fioritures, sans travestissement. Les corps, les gestes et les regards évoquent les sentiments et comblent les silences, plus habilement que les mots.

Note : 4 sur 5.

Le tiroir à cheveux
Emmanuelle Salasc
Éditions P.O.L, 2022, 160 pages.