Jón Kalman Stefánsson: « En Islande, les fantômes sont heureux »

L’auteur islandais, lauréat du Prix Jean Monnet 2022 pour son roman Ton absence n’est que ténèbres, a évoqué avec nous son rapport à l’écriture, la culture islandaise, son goût pour la musique et le rôle de la littérature. Une rencontre lumineuse.

Ton absence n’est que ténèbres, c’est d’abord une atmosphère, celle d’un petit village perdu à l’ouest de l’Islande, dans la région des fjords. Un homme, le narrateur, est assis dans une église. Il a perdu la mémoire et ne sait même plus comment il s’appelle. Lorsqu’il se rend dans le petit cimetière jouxtant l’église, une femme vient vers lui, lui sourit et lui dit qu’elle est heureuse de le revoir. Le récit de Jón Kalman Stefánsson se déploie alors, racontant l’histoire de la mère de cette femme, enterrée dans le cimetière, puis celle d’autres personnages d’une même famille, mêlant les vies et les destins, le passé et le présent.

Un écrivain qui s’efface derrière son récit

Choisir un narrateur amnésique pour raconter cette saga familiale permet à l’écrivain islandais de rendre la plus transparente possible la narration, d’éviter que le narrateur, double de l’écrivain, ne s’interpose entre le récit et le lecteur:
« J’ai pensé que c’était une bonne idée d’avoir un narrateur amnésique, dans l’espoir que toutes les histoires et tous les personnages que j’allais rencontrer sur ma route passeraient à travers cet auteur narrateur sans que son identité soit un empêchement, un frein ou une gêne. Parce que je m’inquiète parfois que la personnalité de l’écrivain puisse agir comme un filtre entre le lecteur et les personnages ou les histoires racontées dans un livre. Et d’autant plus maintenant que, depuis une vingtaine d’années, il existe de plus en plus d’autobiographies littéraires où l’auteur avec son nom et son visage est au cœur de la narration, et fait écran à la narration. En d’autres termes, je m’inquiète parfois du fait que l’écrivain puisse sembler plus important aux yeux des lecteurs que l’histoire elle-même, que la littérature elle-même. Et ça ce n’est pas une bonne chose, car la bonne littérature et la poésie sont toujours plus grandes que l’auteur, que l’homme ou la femme qui les a créées. Parce que l’écrivain est amené à mourir, mais ses écrits, sa littérature, ses livres eux ne meurent pas. »

Un récit mêlant passé et présent

Dans ce récit familial que nous propose Jón Kalman Stefánsson, le passé vient éclairer et compléter le présent : l’un et l’autre se répondent, contractant les siècles et les générations, abolissant les frontières temporelles. « Je m’y prends ainsi pour écrire car j’écris comme je pense et comme je perçois la vie » explique l’auteur islandais. « Quand je commence à évoquer ou décrire un personnage, son passé surgit subitement des profondeurs et exige que je m’intéresse à lui. Il semble que pour comprendre un personnage, il est nécessaire de comprendre et connaître son passé. On peut observer que dans toutes les familles, il y a des composantes, des caractéristiques qui traversent les générations, reviennent de générations en générations. Par conséquent, si on veut comprendre un individu, on doit peut-être justement se frayer un chemin dans son arbre généalogique, dans sa famille, à travers ses ancêtres. »

Un hommage à la musique

Une des composantes qui traversent les générations, c’est la musique, omniprésente dans Ton absence n’est que ténèbres, preuve de l’attachement qu’éprouve l’auteur à son égard. « La musique a toujours été extrêmement importante dans ma vie. J’ai toujours écouté de la musique et elle est dans mon sang, dans mes gênes, elle m’habite entièrement. La famille de ma mère compte la plus grande chanteuse d’opéra que l’Islande ait eue, et l’un des plus grands poètes islandais du XXème siècle. Lorsqu’on lit ses poèmes, on a l’impression d’entendre une symphonie : il y a une telle musicalité dans ses vers qu’on en sort totalement enivré. […] Quand j’ai commencé à écrire de la prose, j’ai senti la musique couler à mesure que j’écrivais, elle était en moi. »

Un roman islandais

Bien que sa portée soit universelle, Ton absence n’est que ténèbres est un roman profondément ancré en Islande, un pays qui fait preuve d’un profond attachement à sa langue et à sa tradition littéraire, toutes deux très anciennes. « En Islande, la question de la langue a évidemment été toujours très importante. Et ce qui nous définit comme Islandais, c’est notre langue. Cela a des bons côtés, et des mauvais, parce qu’on peut parfois être témoins d’une sorte de fascisme de la langue. L’islandais est très compliqué grammaticalement, et quand j’étais enfant, ceux qui n’étaient pas bons en grammaire, c’est à peine si on les autorisait à prendre la parole. […] Et nous avons aussi une littérature très ancienne, les sagas, qui datent du XIIIème siècle, et également de la poésie qui remonte au Xème siècle. On a l’impression que tous ces textes conservent la mémoire d’une époque oubliée et disparue depuis très longtemps. Je pense que cela influence la manière dont on regarde le passé. La langue islandaise qui est parlée aujourd’hui est à peu près la même qu’il y a 1000 ans. Je n’arrive pas à m’ôter de la tête que les morts sont capables de nous lire. Si bien que lorsqu’on écrit en islandais, on écrit aussi bien pour les vivants que pour les morts. Pour cette raison, il est beaucoup plus enviable d’être mort en Islande qu’en France : ceux qui sont morts en Islande il y a 1000 ans peuvent toujours lire nos livres, alors qu’en France ceux qui sont morts il y a 1000 ans ne peuvent plus lire le français contemporain. Ils n’ont pas lu toute la littérature moderne et ils ne la connaissent pas. Et c’est pour cela qu’en Islande les fantômes sont heureux. »

Un roman de la mémoire

Les morts sont capables de nous lire et ils sont également dotés de parole, comme le témoigne ces phrases prononcée par l’un d’eux dans Ton absence n’est que ténèbres :

Écrivez, et nous n’oublierons pas.
Écrivez, et nous ne serons pas oubliés.
Écrivez, parce que la mort n’est qu’un simple synonyme de l’oubli.

Car Ton absence n’est que ténèbres est un roman de la mémoire, un récit qui évoque le passé d’une famille sur plus de six générations, afin que tous se souviennent des défunts, ces morts qui ont disparu dans les ténèbres de l’oubli. « Nous avons le devoir de nous souvenir. Oublier c’est trahir la vie. » dit Pall, un des personnages du roman. « C’est la différence entre la grande histoire, l’histoire de l’humanité, et la littérature » explique Jón Kalman Stefánsson. « Lorsque la littérature parcourt du regard la grande scène qu’est l’histoire du monde, elle voit ces petites vies, ces petits personnages. Et parfois, les plus belles vies sont celles qui traversent le temps sans que personne ne les remarque. Parce que ces vies sont belles, débordantes de contenu, à leur manière tout à fait discrètes. J’aime beaucoup écrire sur ce type de personnes et je considère que l’un des rôles de la littérature c’est d’écrire sur des vies qui ont disparu, qui ne sont plus. »

Note : 5 sur 5.

Ton absence n’est que ténèbres
Jón Kalman Stefánsson
Eric Boury (traduction)
Grasset, 2022, 608 pages.

Au nom du père (Carnet de mémoires coloniales)

Dans un livre adressé à son père, l’auteure portugaise Isabela Figueiredo raconte son enfance au Mozambique, avant l’indépendance. Un témoignage sans fard où elle règle ses comptes avec l’idéologie coloniale.

Il a fallu plusieurs décennies à Isabela Figueiredo pour parvenir à traduire en mots les premières années de son existence au Mozambique, une enfance enfouie au plus profond de sa mémoire. Car lorsqu’elle arrive au Portugal en 1975 à l’âge de treize ans, personne n’a envie d’entendre le récit de ces retornados, ces Portugais revenus des colonies après les guerres d’indépendance.

La mort de son père, survenue en 2001, agit comme un détonateur : après des années de silence, Isabela Figueiredo s’autorise à faire surgir les mots, à donner vie à ce récit qu’elle dédie à son père, elle cette « petite Noire blonde » née sur une terre d’emprunt, le Mozambique auquel elle reste viscéralement attachée. Elle y raconte le colonialisme, le racisme et la violence des Portugais à l’égard de la population africaine, mais aussi l’amour infini pour ce père à l’idéologie nauséabonde, incarnation du colon blanc.

Les mots qui jaillissent de la plume d’Isabela Figueiredo ne sont pas de ceux qu’on utilise comme décor, pour embellir une phrase ou séduire le lecteur. Pour traduire le comportement des Blancs et leur violence à l’égard des Noirs, l’auteure choisit un vocabulaire emprunté à l’idéologie coloniale. Une façon peut-être d’exorciser le mal dont elle a été témoin et dont elle se sent coupable encore aujourd’hui.

La langue d’Isabela Figueiredo est crue, directe, saturée par une terminologie raciale qui mène au bord de la suffocation.[…] L’auteur doit dire ce monde d’autrefois dans les termes en vigueur à l’époque. Il lui faut retrouver l’atmosphère et les comportements du passé. Briser le silence n’est possible qu’à cette condition.

Léonora Miano, Préface

Durant ses années mozambicaines, Isabela Figueiredo est déchirée entre son appartenance au peuple colonisateur et son attachement à cette terre qui l’a vue naître. « Je pensais que mon âme était noire », confesse celle qui aurait voulu s’asseoir sur les genoux du vieux Manjacaze pour s’enivrer de ses récits d’Afrique.

Car même si le colonialisme impose une séparation entre les Blancs et les Noirs, Isabela se sent attirée par ce peuple noir, fascinée par ces femmes dont elle imite la démarche, séduite par la beauté de leurs corps qui ondulent. Elle ne se lasse pas d’observer leurs pieds nus qui foulent le sol, alors que ses pieds de petite fille blanche sont contraints dans des chaussures étroites, l’empêchant de fouler la terre africaine.

Je pouvais, en chemin, me déchausser en cachette dans les buissons et marcher clandestinement, sans souliers, pour vérifier si mes pieds pouvaient être comme les pieds des Noirs, aux orteils écartés et à la plante endurcie, fendillée.

Le questionnement identitaire se fait plus insistant lorsque l’auteure raconte son départ pour le Portugal à treize ans, un éloignement vécu comme un déracinement. À l’heure où le Mozambique gagne son indépendance, les parents d’Isabela l’envoient vivre chez sa grand-mère au Portugal, leur pays de naissance. Un autre chapitre de sa vie commence alors, loin de sa terre natale à elle, dans un pays qu’elle ne connaît pas et qui ne veut rien savoir de ces colons revenus en métropole.

Carnet de mémoires coloniales est un récit nécessaire qui vaut mieux que tous les livres d’histoire sur le sujet: un récit intime raconté à hauteur d’enfant, un point de vue inédit sur le colonialisme et un chant d’amour au père et à la terre africaine.

Note : 4 sur 5.

Carnet de mémoires coloniales
Isabela Figueiredo
Myriam Benarroch et Nathalie Meyroune (traduction)
Léonora Miano (préface)
Éditions Chandeigne, 2021, 240 pages.


V13

« Jour après jour, nous allons écouter des expériences extrêmes de mort et de vie, et je pense qu’entre le moment où nous entrerons dans la salle d’audience et celui où nous en sortirons, quelque chose en nous tous aura bougé. On ne sait pas ce qu’on attend, on ne sait pas ce qui arrivera. On y va. »
Emmanuel Carrère, V13.

« Le Tiroir à cheveux » d’Emmanuelle Salasc

D’une écriture épurée, Emmanuelle Salasc raconte le quotidien d’une jeune mère de deux enfants, dont l’un lourdement handicapé. Un récit doux-amer, délicat et sensuel.

On entre dans ce roman par les sensations. Une jeune femme d’à peine 18 ans rafraîchit le corps de Titouan, son petit enfant qui transpire. Elle « met de l’air sur son torse », caresse ses cheveux dont « la frange en désordre a la couleur des mains gourmandes noircies par les châtaignes ». Les cheveux de son fils aîné de cinq ans, Pierre ont des nuances plus claires, et « les blonds dorés se faufilent sur et sous les blonds nacrés ». Les cheveux la fascinent, ceux de ses fils comme ceux des garçons qu’elle fréquente et des gens qu’elle côtoie. Ce n’est pas un hasard si elle travaille dans un salon de coiffure et shampouine les têtes, masse, démêle et embellit les cheveux : elle cultive avec soin ce lien sensuel et sincère qu’elle tisse avec les autres.

J’aime les cheveux, même gras, rêches, épais. Mats, soyeux, souples au toucher, moites. J’aime toucher les cheveux. Regarder de près leurs formes, leurs couleurs, leurs textures. Et m’approcher des têtes, par derrière, par côté. J’aime surprendre les mouvements des mèches. Les renifler en douce.

Candide et peu instruite, elle a quitté l’école à 15 ans pour s’occuper de son fils Pierre, son « bout de lune », un enfant vivant mais absent au monde, atteint d’un lourd handicap de naissance. Les premiers temps, elle vit à la gendarmerie avec ses parents, puis occupe ensuite un minuscule appartement qu’elle loue grâce à son salaire de coiffeuse. Les garçons de son âge abusent de sa candeur, les femmes de la gendarmerie la jugent sévèrement, mais elle mène sa vie comme elle peut, au jour le jour, tentant de fonder avec ses fils un semblant de famille, la sienne propre, aussi fragile et bancale soit elle.

Le handicap de Pierre, omniprésent, n’est jamais réellement nommé. Il est là, c’est ainsi. La jeune mère l’éprouve au quotidien, à travers le regard des autres et la difficulté qu’elle éprouve à communiquer avec cet enfant aveugle et sourd. Ce corps « lourd et encombrant l’embarrasse », elle le (sup)porte comme elle peut, au propre comme au figuré, et c’est déjà bien.

Le portrait de cette jeune femme est délicatement dessiné par Emmanuelle Salasc, d’une écriture à la fois simple et sensible. Les phrases sont courtes, les mots traduisent le réel, sans fioritures, sans travestissement. Les corps, les gestes et les regards évoquent les sentiments et comblent les silences, plus habilement que les mots.

Note : 4 sur 5.

Le tiroir à cheveux
Emmanuelle Salasc
Éditions P.O.L, 2022, 160 pages.

Le goûter du lion (l’hymne à la vie)

Dans un roman qui vient de paraître, l’auteure japonaise Ito Ogawa évoque la fin de vie paisible et apaisée d’une jeune femme atteinte d’un cancer. Un récit délicat et poétique.

Âgée de trente-trois ans, Shizuku est sur le point de perdre son combat contre le cancer. Se sachant condamnée, elle choisit de quitter son appartement du centre-ville et prend le bateau pour l’île aux citrons, dans la mer intérieure du Japon. Là-bas, elle est accueillie dans une maison destinée aux personnes en fin de vie, la Maison du Lion, un havre de paix tenu par une gérante empathique et douce, Madonna.

Je n’avais plus qu’une envie : me reposer en contemplant la mer. Je voulais dormir d’un sommeil paisible, sans avoir les bras hérissés de tuyaux. C’était ce qui m’avait poussée à choisir la Maison du Lion. Car c’était le seul endroit d’où l’on pouvait voir la mer à chaque minute de la journée.

Même si La Maison du Lion est un lieu où l’on se rend pour mourir, Shizuku quitte progressivement ses habits de tristesse et son abattement pour se reconnecter à l’essentiel. Progressivement, au contact d’une nature qui apaise l’âme et les tourments du corps, Shizuku se sent plus vivante que jamais. Son horizon se dégage, elle s’apaise, savoure le temps qui s’offre encore à elle, envisage la mort avec sérénité.

Dans la Maison du Lion, les petits bonheurs qui illuminent son quotidien sont nombreux, à commencer par les goûters du dimanche où chaque pensionnaire peut, à tour de rôle, commander son goûter préféré aux cuisinières, un plaisir gustatif dont tous les convives se délectent. Chaque bouchée est l’occasion d’accueillir des émotions réconfortantes, le souvenir d’un être aimé, un événement agréable. Une manière de faire le bilan de la vie écoulée, de boucler la valise des souvenirs heureux avant d’effectuer la grande traversée.

Une fois encore avec ce roman, Ito Ogawa nous transporte dans un récit poétique d’une extrême délicatesse. La contemplation de la mer, le bruit que font les feuilles de citronniers dansant dans le vent, la musique que Shizuku écoute au réveil, le goût sucré d’un dessert ou la saveur d’un thé vert… L’auteure japonaise évoque des sensations simples, des émotions pures, et parvient à toucher par sa profonde sensibilité.

En évoquant la fin de vie, Ito Ogawa n’écrit pas un roman sur la fin, mais un roman sur la vie. Elle nous propose de repenser notre rapport à l’existence, au temps qui s’écoule et au monde qui nous entoure. Avec Le goûter du lion, elle adresse au lecteur une invitation à ralentir, à savourer les instants précieux de la vie, à se connecter à ses sensations et, en un sens, à apprendre à vivre pour mieux savoir mourir.

Note : 4.5 sur 5.

Le goûter du lion
Ito Ogawa
Déborah Pierret-Watanabe (traduction)
Éditions Picquier, 2022, 272 pages.

La poésie de Laura Kasischke

Avec Où sont-ils maintenant, anthologie personnelle, l’auteure américaine nous emmène à la découverte de son univers poétique, source de toute son œuvre. Vivifiant.

Surtout connue en France pour ses romans publiés chez Christian Bourgois, Laura Kasischke est entrée en écriture par la voie poétique, un art auquel elle se consacre depuis 1991 et qu’elle ne cesse d’explorer depuis lors, tout en continuant à publier des œuvres romanesques.

Je me considère avant tout comme une poétesse.

Laura Kasischke

Pour constituer ce recueil intitulé Où sont-ils maintenant (Where Now), l’auteure originaire du Michigan a choisi dix poèmes extraits de chacun de ses recueils passés, accompagnés de vingt nouveaux poèmes. Présentés antéchronologiquement, les poèmes rassemblés dans cette Anthologie personnelle permettent au lecteur de parcourir l’œuvre de Laura Kasischke et d’en percevoir l’évolution.

Les poèmes proposés sont construits par association d’idées et de sensations (une influence du mouvement surréaliste), un flux de pensée qu’elle saisit sur de petits carnets, au fil de la journée. Onirisme et méditation se mêlent à des images et des scènes dont elle est témoin à la maison ou au supermarché où elle fait ses courses, ces instants du quotidien dans lesquels elle puise son inspiration poétique. « Je travaille avec la seule matière que j’ai à disposition, celle de l’univers domestique, et des gens que je rencontre. Énormément de drames se jouent dans une cuisine. Je trouve intéressant de donner une véritable valeur à cette vie quotidienne et domestique. On peut trouver du mélodrame jusque dans son propre foyer. » déclarait-elle à la Maison de la Poésie en novembre dernier. 

Je commence toujours un poème en écrivant simplement – dans un cahier, avec un stylo – et je ne le considère pas comme un « poème » (c’est trop intimidant), donc je commence par une image ou quelques mots peut-être, que je pense pouvoir placer dans le bon ordre. Puis ces mots (ou cette image) suggèrent les mots suivants, et les suivants, et les suivants.

Où sont-ils maintenant demande Laura Kasischke, et où irons-nous après ? La poétesse interroge le passé qui l’a construite, celui-là même qui a englouti les êtres chers, désormais disparus. En trente ans de vie, elle a observé ses contemporains, vu partir ses parents, grandir son fils et avec lui son inquiétude de mère. D’ailleurs, l’évocation de l’enfance et l’adolescence est fréquente dans ce recueil, la sienne et celle de son fils, maintenant adulte. Et c’est cela, au fond, le thème que parcourt cette Anthologie personnelle : où est donc passé le passé ? Une interrogation qui, selon elle, permet de mieux comprendre le présent et appréhender le futur.

Ces souliers dans la paume de ma main ?
Tu les as mis à tes pieds, un temps.

Cette couverture de la taille d’un essuie-mains ?
Je la drapais autour de toi endormi

dans mes bras comme cela. Tu vois ? Le monde
un temps a été petit comme cela quand

tout le reste au monde était moi.

Poème Deux hommes & un camion

Les poèmes de Laura Kasischke sautillent d’une image à l’autre, opèrent des glissements entre les choses et les êtres, franchissent les barrières temporelles. La lecture de ce recueil peut dérouter parfois, mais surgit alors une image qui surprend et sublime le texte. À mesure que le style de l’auteure s’affirme, les poèmes semblent moins narratifs, plus libres, de forme plus courte.

Une chose ne change pas cependant, c’est l’importance que la poétesse accorde à la sonorité de ses poèmes, une musique que Sylvie Doizelet a su préserver lors de la traduction du recueil en français. « L’essentiel d’un poème est la musicalité bien davantage que l’histoire ou son aspect sur la page, sa musicalité et les images qui s’en dégagent » affirme Laura Kasischke. 

Une œuvre poétique surprenante et vivifiante.

Note : 4 sur 5.

Où sont ils maintenant. Anthologie personnelle.
Laura Kasischke
Sylvie Doizelet (traduction)
Gallimard, 2021, 384 pages.

Une chaîne YouTube pour les bibliothèques de Bordeaux !

Depuis quelques jours, le réseau des bibliothèques de Bordeaux se dévoile sur sa toute nouvelle chaîne YouTube. Une façon de se rapprocher de ses usagers et d’intéresser d’autres publics.

Déjà présentes sur les réseaux sociaux depuis une dizaine d’années (Facebook, Twitter, Instagram), les bibliothèques de Bordeaux ont constaté l’intérêt grandissant du public pour les contenus numériques, et plus particulièrement les vidéos diffusées sur internet. Il est alors apparu comme une nécessité de proposer une diffusion en ligne des conférences et des concerts proposés dans leurs murs, pour permettre à un large public d’accéder à la programmation culturelle et pour offrir une seconde vie numérique à ces événements. Le choix d’une chaîne YouTube, un des sites les plus fréquentés au monde, s’est vite imposé.

L’idée est d’assurer une présence, même quand la bibliothèque est fermée, de proposer des contenus à tout moment de la journée, même le soir, même la nuit. 

Yoann Bourion, directeur des bibliothèques de Bordeaux

Progressivement, durant environ une année, la réflexion autour des captations et des contenus vidéos s’est enrichie, au point de faire l’objet de réunions éditoriales régulières, à l’image de celles tenues par les rédactions de presse. Concevoir une charte éditoriale, choisir les contenus à diffuser, établir une programmation cohérente en adéquation avec les missions des bibliothèques,… La ligne éditoriale composée, la chaîne YouTube voit le jour, constituée de différentes rubriques.

5 sur Cinq

La rubrique 5 sur Cinq regroupe les coups de coeur des bibliothécaires pour des livres issus des collections. « Nous sommes partis du constat que les booktubes étaient très suivis et que nous, en tant que professionnels du livre, étions aussi légitimes pour donner des conseils de lecture assure Yoann Bourion, le directeur des bibliothèques. Nous pouvons proposer des livres, mais également étendre nos coups de coeur à des films, des disques,… Il y a 400000 documents à Mériadeck ! La seule contrainte est de le faire dans un format court, en trois minutes maximum. »

Les Trésors de la Bibliothèque

Le fonds patrimonial situé à la bibliothèque Mériadeck contient des documents inestimables, certains datant du XIIème siècle. Grâce à l’assistance de la société de production Grand Angle, ce fonds est présenté dans des vidéos de qualité, certaines sous-titrées en anglais : « Nous avons jugé important de mettre en lumière ce fonds, très connu des chercheurs du monde entier, mais moins du grand public », explique Yoann Bourion.

Les RDV de l’Auditorium

Une des premières décisions prises lors des réunions éditoriales a été celle de capter les conférences et les concerts proposés à l’Auditorium de la bibliothèque Mériadeck, comme les conférences de Barbara Stiegler sur la citoyenneté, dont l’une a dépassé les 35000 vues sur la chaîne.

L’originalité de notre projet par rapport à celui des autres bibliothèques de France, c’est de montrer les coulisses de notre métier.

Mon métier

Sans aucun doute la plus originale, cette rubrique a pour objectif de faire connaître les métiers à l’oeuvre au sein réseau des bibliothèques de Bordeaux où travaillent 250 personnes. Développée pour l’instant sous la forme de courtes vidéos de 3 minutes, elle accueillera également des reportages plus longs, pour expliquer par exemple les étapes successives de la chaîne du livre, de la commande jusqu’à l’acquisition par le bibliothécaire et sa mise à disposition des usagers.

À l’avenir, cette rubrique lèvera le voile sur les coulisses que sont les magasins, ces parties secrètes et inconnues du grand public, où sont conservés les documents. « La bibliothèque Mériadeck, c’est 32000 m2 et le lecteur n’en voit que 8000 m2. Nous jugeons intéressant de montrer les 24000 m2 restants, une vraie ville dans les souterrains. » explique le directeur. 

Ce projet rencontre parfois quelques réserves de la part de certains agents, car le métier de bibliothécaire est aussi un métier de l’ombre. Faire son métier est une chose, en parler face caméra en est une autre. Les plus motivés se lancent, mettant en confiance les plus réticents.

Pour aider à l’élaboration de ce projet, des formations internes avec des YouTubeurs sont proposées aux bibliothécaires, et la partie technique confiée à une petit équipe chargée du tournage. Au final, « les bibliothécaires ne sont pas pollués par les aspects techniques et peuvent se consacrer à ce qu’ils ont à dire sur leur métier ».

Et à l’avenir ? La ligne éditoriale de la chaîne YouTube est pour l’instant centrée sur les bibliothécaires, mais dans quelque temps la parole sera partagée avec les lecteurs, comme elle l’est déjà avec les lecteurs de BD présentant les livres de la sélection du Prix Griboullis. Elle le sera ensuite avec différents partenaires, des libraires, des labels locaux,…

Le réseau des bibliothèques de Bordeaux s’adapte, innove, et tisse plus que jamais des liens avec son public.

Les huit montagnes

Il disait : c’est bien un mot de la ville, ça, la nature. Vous en avez une idée si abstraite que même son nom l’est. Nous, ici, on parle de bois, de pré, de torrent, de roche. Autant de choses qu’on peut montrer du doigt. Qu’on peut utiliser. Les choses qu’on ne peut pas utiliser, nous, on ne s’embête pas à leur chercher un nom, parce qu’elles ne servent à rien.
Paolo Cognetti, Les huit montagnes.

Ce genre de PETITES CHOSES de Claire Keegan

À travers le personnage de Bill Furlong, l’Irlandaise Claire Keegan éprouve la conscience de son pays, complice d’avoir passé sous silence le sort réservé à de nombreuses jeunes filles enfermées dans des couvents, employées comme blanchisseuses. Un livre lumineux qui nous éclaire sur l’une des plus terribles tragédies de l’histoire d’Irlande.

Claire Keegan est un de ces écrivains qui, par la beauté de leur écriture, sont capables de diffuser de la chaleur et de la lumière en plein coeur de l’hiver.

Nous sommes quelques jours avant Noël, dans la ville de New Ross, au sud-est de l’Irlande. Le froid et la pluie s’abattent sur la ville et ses habitants, ce qui arrange les affaires de Bill Furlong, propriétaire d’un commerce de charbon et de bois de chauffage. Les commandes affluent, l’obligeant à effectuer les livraisons lui-même. Lors d’une de ses tournées, Bill est appelé au couvent des religieuses du Bon Pasteur, un lieu réputé pour son école professionnelle et sa blanchisserie, mais aussi objet de rumeurs sur les jeunes filles employées pour ce travail.

Certains disaient que les filles de l’école professionnelle, comme on les appelait, n’étudiaient rien, mais étaient des filles de moralité douteuse qui passaient leurs journées à s’amender, à faire pénitence en nettoyant les taches sur le linge sale, qu’elles consacraient chaque jour sans exception, de l’aube à la nuit, au travail.

Là-bas, derrière les hauts murs, dans ce couvent qui « ressemblait presque à une carte de voeux, avec les ifs et les pins saupoudrés de givre », Bill va croiser des jeunes filles dans un état de santé et de propreté préoccupant. Une d’elle l’implore même de la faire sortir de là, ce qu’il ne peut accepter. Mais le souvenir de cette jeune pensionnaire le hante et ravive celui de sa propre mère, une femme qui lui a donné naissance lorsqu’elle avait à peine seize ans et qui eut la chance d’être recueillie par la femme qui l’employait, ce qui leur a sauvé la vie.

Le personnage de Bill Furlong permet à Claire Keegan de s’interroger sur le silence de la population et de l’État irlandais face aux agissements des couvents de la Madeleine : pendant plus de 70 ans, dans l’indifférence générale, plus de 10 000 jeunes filles ont été enfermées et exploitées dans ces institutions religieuses, travaillant gratuitement comme blanchisseuses pour des établissements publics, des prêtres et de riches familles.

Rejetées par leurs parents, lorsqu’elles n’étaient pas orphelines, les pensionnaires y étaient conduites pour laver leurs péchés à l’image de Marie-Madeleine, en lavant le linge sale des autres et en menant une vie de labeur et de prière.

Parmi elles, de jeunes femmes jugées perdues, car tombées enceintes avant leur mariage. On estime à plus de 2000 le nombre de bébés nés dans ces couvents, puis vendus à de riches familles américaines, tandis que certains nourrissons et leurs mères connaissaient une fin tragique : en 1993, sur le terrain d’un de ces couvents, les tombes anonymes de plus de 100 pensionnaires furent déterrées.

Cette histoire est dédiée aux femmes et aux enfants qui ont subi la claustration dans les blanchisseries de Magdalen en Irlande.

Le roman de Claire Keegan aborde cet épisode douloureux avec une grande délicatesse, donnant à son personnage principal la conscience et le courage qui manquaient aux témoins de cette tragédie, à commencer par l’État irlandais qui a longtemps nié sa responsabilité, rejetant la faute sur les institutions religieuses. Le dernier couvent a fermé en 1996 et il faudra en effet attendre 2013 pour que l’État reconnaisse sa culpabilité et dédommage les nombreuses victimes auxquelles ce livre rend hommage.

Pour approfondir le sujet évoqué par ce livre, nous vous recommandons deux films : The Magdalene Sisters, de Peter Mullan (2002) et Philomena, de Stephen Frears (2013).

Note : 4 sur 5.

Ce genre de petites choses
Claire Keegan
Jacqueline Odin (traduction)
Le Livre de Poche, 2022, 128 pages.

Céline : les manuscrits retrouvés

À l’occasion de la parution de Guerre, roman inédit de Louis-Ferdinand Céline, la Galerie Gallimard présente une nouvelle exposition consacrée aux manuscrits retrouvés de l’auteur. À voir jusqu’au 16 juillet.

En quittant la France le 17 juin 1944, se sentant menacé à l’approche de la Libération pour ses prises de position durant l’Occupation, Louis-Ferdinand Céline laisse derrière lui plusieurs liasses de manuscrits qu’il croit, après-guerre, perdus à jamais. Récemment, ces manuscrits réapparaissent mystérieusement et, pour la première fois, la Galerie Gallimard en présente des extraits. Une invitation à parcourir le projet littéraire entrepris par l’auteur après la parution de Voyage au bout de la nuit (1932).

Un projet littéraire

Ce travail littéraire se présente sous la forme d’un grand triptyque abordant des périodes de sa vie très peu évoquées : son enfance, la guerre et Londres. Des milliers de feuillets inédits témoignent de cette vaste entreprise, dont seul le premier volet sera achevé avec Mort à crédit (1936). L’auteur avait cependant avancé sur ses autres romans, plus particulièrement sur celui évoquant l’épisode central de sa vie, deux cent cinquante feuillets que Gallimard vient de publier sous le titre de Guerre.

J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête.

Guerre, un roman inédit

L’action de Guerre se déroule dans les Flandres, durant la Grande Guerre. À la fois récit autobiographique et oeuvre de fiction, le roman évoque une des expériences les plus traumatisantes de la vie de l’auteur : celle du front, « abattoir international de la folie ». Écrit environ deux ans après la parution de Voyage au bout de la nuit, le roman Guerre constitue une pièce capitale de l’oeuvre de Louis-Ferdinand Céline. C’est pour cette raison que l’exposition met particulièrement en lumière le précieux manuscrit, aux côtés de ceux de Londres, de Casse-pipe et de La Volonté du roi Krogold.

Les sources biographiques de l’oeuvre

En plus des manuscrits, les visiteurs peuvent découvrir des documents plus intimes (lettres, cartes postales, portrait,…), sources biographiques de l’oeuvre littéraire de Louis-Ferdinand Céline. Les médailles militaires de l’écrivain, le Journal de marche de son régiment et le livret matricule de Céline sont accompagnés de documents de l’histoire éditoriale.

Céline, les manuscrits retrouvés
Exposition proposée à l’occasion de la parution de Guerre de Louis-Ferdinand Céline
Galerie Gallimard, 30-32 rue de l’Université, 75007 Paris
Exposition du 6 mai au 16 juillet 2022.

L’Aveuglement (par José Saramago)

Prix Nobel de littérature en 1998, l’écrivain portugais José Saramago imagine dans L’Aveuglement (1997) une épidémie qui frappe la population de cécité. Un conte métaphorique qui parle de notre société et des maux qui l’affectent.

Certains livres viennent parfois entrer en résonance avec l’actualité et sont à nouveau présentés sur les tables des librairies, des années après leur publication. Paris est une fête d’Ernest Hemingway est ainsi réapparu après les attentats du 13 novembre 2015, le roman Les abeilles grises d’Andreï Kourkov a fait l’objet de nombreuses réimpressions depuis le début de la guerre en Ukraine.

Durant le confinement et la pandémie de covid, La Peste de Camus a pris place sur la table de chevet de nombreux lecteurs, sort réservé également à L’Aveuglement de José Saramago, paru en 1997.

L’Aveuglement parle d’une société malade. Tout commence le jour où un homme devient aveugle au volant de sa voiture. Sans raison, sans signe avant-coureur, soudainement. « Il se trouvait plongé dans une blancheur si lumineuse et si totale qu’elle dévorait plutôt qu’elle absorbait les couleurs et aussi les objets et les êtres, les rendant ainsi doublement invisibles. » La maladie qu’on surnomme « mal blanc » est contagieuse et se répand dans tout le pays. Tentant de juguler l’épidémie, les pouvoirs publics parquent les personnes contaminées dans un asile d’aliénés désaffecté, à l’abri des regards, gardés par des soldats.

À l’intérieur, les aveugles sont livrés à eux-mêmes. On ne les approche pas, personne ne vient les soigner. La nourriture est déposée quotidiennement à leur intention, mais les rations sont insuffisantes. L’emprisonnement, la promiscuité, la saleté et la faim ont raison de ces humains séquestrés comme des bêtes. Sont-ils d’ailleurs encore des êtres humains ?

Dans des circonstances différentes, ce spectacle grotesque eût pu faire rire aux éclats l’observateur le plus grave, c’était à mourir de rire, certains aveugles avançaient à quatre pattes, le visage au ras du sol comme les porcs, bras devant eux pourfendant l’air, pendant que d’autres, craignant peut-être d’être engloutis par l’espace blanc loin de l’abri du toit, se cramponnaient désespérément à la corde en tendant l’oreille dans l’attente des premières exclamations qui ponctueraient l’arrivée des caisses.

Les instincts primitifs de certains prennent le dessus, exacerbés par la volonté de survivre, tandis que d’autres s’efforcent de ne pas sombrer dans la bestialité et la violence, à l’image de ce groupe mené par une femme qui n’a miraculeusement pas perdu la vue. Elle devient leurs yeux, leur guide et le bras de leur vengeance.

Lorsque les prisonniers parviennent à sortir à la faveur de l’incendie qui se déclare dans un bâtiment, la femme les aide à survivre et à conserver un semblant d’humanité dans une ville où les hommes se conduisent comme des hordes sauvages.

L’épidémie qui touche les individus dans L’Aveuglement est le prétexte invoqué par Saramago pour réfléchir à la nature profonde de l’homme, aux rapports entre êtres humains et, plus globalement, d’amorcer une réflexion politique sur l’organisation et le fondement de notre société.

En plus de son propos, le style utilisé par José Saramago constitue une des clés de son succès : les phrases sont riches, aucun retour à la ligne n’est fait pour marquer les dialogues. Les paragraphes sont rares. Les personnages n’ont pas de nom. De cette façon, l’auteur immerge le lecteur dans l’angoisse et la terreur, décrivant avec force détails la plongée de cette société dans le chaos. Un livre fort, difficile à oublier.

Note : 4.5 sur 5.

L’Aveuglement
José Saramago
Geneviève Leibrich (traduction)
Le Seuil, 1997, 303 pages.

Lire à Limoges : édition 2022 !

Du 13 au 15 mai prochain se déroule le salon Lire à Limoges. Une édition 2022 placée sous le thème des diversités.

Douglas Kennedy a été choisi pour présider la nouvelle édition du salon Lire à Limoges. À cette occasion, l’auteur américain viendra présenter son nouveau roman Les hommes ont peur de la lumière (Belfond). Pour l’entourer, huit invités d’honneur sont conviés, parmi lesquels Jean Teulé, Franck Bouysse ou les écrivains issus du monde musical Mathias Malzieu et Louis Bertignac. Au total, ce ne sont pas moins de 300 auteurs qui viendront rencontrer leur public lors de 90 rencontres, tables rondes, ateliers, grands entretiens et animations.

Cet événement marque également la première édition du Prix du premier roman de la Ville de Limoges, un prix parrainé par Franck Bouysse qui récompense le premier roman d’un auteur francophone. Il couronnera cette année la primo-romancière Sophie d’Aubrey pour S’en aller (Inculte). Trois autres prix littéraires jeunesse et BD seront également attribués durant le salon : le Prix des lecteurs BD, le Prix Jean-Claude Izzo et le Prix Coup de coeur jeunesse.

En plus de mettre à l’honneur de jeunes talents, Lire à Limoges offre une place centrale aux éditeurs de Nouvelle-Aquitaine et aux acteurs locaux de la chaîne du livre en leur dédiant une vingtaine de stands. Parmi eux sera présente l’AENA (Association des Éditeurs de Nouvelle-Aquitaine) qui proposera une matinée interprofessionnelle ayant pour thème « l’édition indépendante en Nouvelle-Aquitaine : difficultés, avantages et leviers ». Ouvert au grand public, ce temps de réflexion et d’échanges se déroulera le vendredi 13 mai de 10h à 12h.

Pour plus de renseignement sur Lire à Limoges : https://lire.limoges.fr

Un juif pour l’exemple (par Jacques Chessex)

Publié en 2009, ce roman raconte un sordide fait divers survenu en Suisse en 1942, dans la ville de l’écrivain, alors âgé de huit ans. Un récit sec et glaçant. 

Payerne, Suisse, 1942. L’Europe est en guerre, la crise économique frappe de plein fouet la région. Les banques font faillite et les usines ferment, laissant de nombreux ouvriers au chômage. Mécontentements, rancœurs et frustrations poussent à chercher un coupable au malheur. « Le mal rôde. Un lourd poison s’insinue ».

Philippe Lugrin, pasteur hitlérien sans paroisse, s’infiltre « parmi les chômeurs, les petits paysans ruinés et les ouvriers menacés de perdre leur emploi. » Chaussé de « ses petites lunettes à la Goebbels », il anime des meetings antisémites dans les arrière-salles des cafés de Payerne, sur fond d’hymne nazi. « Chaque réunion du pasteur Lugrin se termine par le claquement des talons et le salut au bras tendu. » Ce pasteur est proche de la Légation d’Allemagne à Berne qui le soutient financièrement et logistiquement. « Lugrin aiguise, dénonce, caricature, et appelle un exemple fort. » Il est temps d’agir : « L’assistance comprend qu’il faut faire place nette et se débarrasser sans plus tarder d’une engeance responsable de ses humiliations. »

Membre du Mouvement national suisse, organisation d’extrême droite pilotée par l’Allemagne, le garagiste Fernand Ischi est fasciné par l’Allemagne, Hitler et le nazisme. « Dévoré de haine, de volonté de revanche et de puissance », il se voit déjà à la tête d’un petit Reich local et comprend parfaitement le message du pasteur. La victime expiatoire est vite choisie : ce sera Arthur Bloch, marchand de bétail, une personnalité connue dans la région.

« Je raconte une histoire immonde et j’ai honte d’en écrire le moindre mot. J’ai honte de rapporter un discours, des mots, un ton, des actes qui ne sont pas les miens mais qui le deviennent sans que je le veuille par l’écriture. » 

Toute sa vie, Jacques Chessex n’a cessé d’être hanté par cette histoire. Il connaissait tous les protagonistes de cette sordide affaire, à l’exception du pasteur Lugrin. Son père avait acheté sa première voiture au garage de Fernand Ischi et lui-même était assis en classe à côté de sa fille aînée. Pourquoi donc avoir attendu soixante ans avant de publier son livre ? Chessex s’en explique ainsi : « J’avais besoin de temps, j’avais besoin de me le représenter de la manière la plus nette, la plus concentrée, la plus élaborée, pour que ce livre soit une espèce de pierre, une espèce de perfection formelle où tout soit juste, tout soit vrai, parce que j’ai attendu pour le faire que ce soit vraiment l’instant où il fallait le sortir. »

Ce livre, Jacques Chessex le choisi bref, d’une simplicité efficace, resserré sur l’horreur. En 103 pages seulement, tout est dit. Les phrases se succèdent, sans moire ni velours, coups de poing que le lecteur est incapable d’esquiver. Comme l’écrit Jérôme Garcin dans Le Nouvel Obs à la sortie du livre : « Chessex n’a pas son pareil pour décrire sans trembler des abominations, pour hurler à voix basse, pour fouiller la culpabilité dans une prose de confessionnal. » 

En 2009, la publication d’Un juif pour l’exemple déclenche un tonnerre de réaction, à commencer par celles du maire et de l’archiviste de Payerne, qui préfèrent laisser l’histoire dormir en paix. C’est justement cela qui dérange : que l’auteur déterre cette histoire et ose affirmer que tout le monde savait, à l’époque, ce qui se tramait. « On se couperait la langue, on se crèverait les yeux et les oreilles plutôt que de reconnaître que l’on sait ce qui se trame au garage. Et dans les arrière-salles de certains cafés. Et dans les bois. Et chez le pasteur Lugrin. »

Jacques Chessex va plus loin. Il propose à la ville de Payerne de rendre hommage à Arthur Bloch en rebaptisant la place de la Foire en place Arthur-Bloch, et en scellant une plaque dans la Rue-à-Thomas, où a eu lieu le crime. Sa proposition est rejetée. L’auteur reçoit même des menaces de mort. Pour faire suite à l’affaire, les autorités communales décident de nommer une commission extraparlementaire chargée de rédiger une résolution qui paraît quelques mois plus tard. Elle insiste sur la nécessité d’un travail de mémoire. « Même s’il peut être douloureux, ce rappel du passé doit conduire aujourd’hui à un travail de prévention et d’engagement contre toute forme de racisme et de discrimination. » Un sujet plus que jamais d’actualité.

Pour aller plus loin : Archive INA Un livre, un jour : « Jacques Chessex – Un juif pour l’exemple »(France 3, 13 janvier 2009).

Un Juif pour l’exemple
Jacques Chessex
Grasset, 2009, 103 pages

La barque silencieuse (Pascal Quignard)

La barque silencieuse constitue le sixième tome du Dernier royaume, un projet littéraire plus vaste de Pascal Quignard amorcé avec Les ombres errantes (Prix Goncourt 2002). Retour sur cette œuvre hors du commun publiée en 2009.

Référence à la barque de Charon navigant sur le fleuve des Enfers, La barque silencieuse est une oeuvre dont la mort occupe la place d’honneur, sans pour autant être une oeuvre crépusculaire. Domestiquer la mort, la remettre à sa place, au centre de la vie, afin d’« apprivoiser l’abîme et s’en faire un compagnon », voila la démarche littéraire de Pascal Quignard.

Pour ce compagnonnage, l’auteur relate des événements liés au trépas de personnages célèbres, comme la mort de Mazarin, de Madame de La Fayette ou de Bossuet, celle d’anonymes ou même sa propre mort qu’il frôle en 1997 suite à une violente hémorragie. Sont ainsi évoqués les différents atours que revêt la fin ultime, qu’elle soit ordinaire ou surnaturelle, subie ou ardemment souhaitée, l’auteur redonnant au suicide sa valeur d’ultime liberté.

Un style bondissant

Composé de quatre-vingt-six chapitres, La barque silencieuse revêt une forme littéraire bondissante et sautillante, et c’est sans doute en cela qu’elle nous emporte et nous séduit. Convoquant tour à tour le conte, l’aphorisme, l’essai, le journal intime, l’anecdote historique, l’étymologie et la mythologie, Pascal Quignard invente « un genre où la biographie, le mensonge, la vérité […], la lecture, tout puisse se trouver mêlé, indémêlable, et dans lequel je n’ai pas à contrôler quoi que ce soit, dit-il. La seule règle que je dois respecter est l’imprévisibilité du chapitre qui suit. Il faut qu’à chaque fois il y ait un contraste. » Un style qui témoigne de la richesse des lectures de Pascal Quignard, l’auteur trouvant ça et là le terreau de son inspiration.

Un goût pour les mots

Dans ce voyage étymologique, littéraire et historique par-delà le temps et l’espace, Pascal Quignard rend hommage aux mots, ces mots qui lui ont autrefois fait défaut, comme ils se dérobent aux morts, désormais seuls et silencieux.

J’aurai passé ma vie à chercher des mots qui me faisaient défaut. Qu’est-ce qu’un littéraire? Celui pour qui les mots défaillent, bondissent, fuient, perdent sens.

La barque silencieuse témoigne de cet amour des mots qu’éprouve Pascal Quignard, comme celui pour le mot « corbillard », un coche d’eau qui transportait jadis les nourrissons sur la Seine. Ce goût pour la langue, l’auteur l’éprouve dans ses recherches et ses lectures, des moments qui font sens. Se retirer du monde, faire silence, éprouver la solitude du lecteur dans l’acte de lecture. Le langage s’accorde à le dire : « En chinois, Lire et Seul sont des homophones. Seul avec le Seul », dans une solitude heureuse.

Finalement, La barque silencieuse est une invitation à s’extraire du brouhaha du monde et à s’en détacher, une oeuvre magistrale qui invite le lecteur à se ressourcer et à s’assouvir de lectures nouvelles. Passeur de mots, passeur de textes, Pascal Quignard traverse le temps et l’espace et offre à la littérature l’un de ses joyaux.

Note : 5 sur 5.

La barque silencieuse
Pascal Quignard
Folio, 2011, 256 pages.

Le Temps des grêlons

Lauréat de nombreux prix pour Le Dit du Mistral, Olivier Mak-Bouchard confirme son talent de conteur avec ce deuxième roman. Coup de coeur pour cette fable originale et engagée.

Il y a des romans dont on ne souhaite pas parler de peur de dévoiler l’intrigue, des romans qu’on préfère garder jalousement pour soi, puisqu’on a passé plusieurs heures en sa compagnie, les yeux dans les yeux, et qu’on a savouré chacune de ses pages. Le Temps des grêlons est de ceux-là.

Alors oui, on peut vous dire que cette histoire est racontée par un adolescent candide, un garçon qui porte un regard enfantin sur le monde.
On peut vous dire aussi que tout commence « le jour où les appareils photo n’ont plus marché du tout », le jour où les êtres humains disparaissent des selfies, des photographies et des écrans. Plus inquiétant, ces disparitions étranges s’accompagnent de l’apparition soudaine de phénomènes assez troublants…
Les gens s’interrogent, les spécialistes émettent des théories, les politiques s’en mêlent. Les autorités se saisissent du problème, les gouvernements s’organisent. On entend au loin des bruits de bottes. La machine implacable est en marche.

Vous n’en saurez pas plus.

Olivier Mak-Bouchard nous emporte dans une histoire originale qui nous ravit et nous fait réfléchir sur notre dépendance aux écrans et à l’image. Servi par une écriture très créative, Le Temps des grêlons porte un regard critique, éthique et philosophique sur notre société et ses dérives. Un livre qu’on ne peut plus lâcher. Un véritable coup de coeur.

Note : 5 sur 5.

Le Temps des Grêlons
Olivier Mak-Bouchard
Editions Le Tripode, 2022, 352 pages.

Empreinte Carbonne : un nouveau festival consacré au polar

Située en Haute-Garonne, la ville de Carbonne accueille les 14 et 15 mai prochains la première édition d’Empreinte Carbonne, un festival international « Polar et Justice » parrainé par Olivier Norek.

Le dossier de presse du festival Empreinte Carbonne commence comme un guide touristique ventant les charmes de Carbonne, ville située à une trentaine de minutes de Toulouse, au bord de la Garonne : « Cette rivière tranquille, aux accents sinueux et rocailleux, c’est un fleuve. Carbonne a eu un port de commerce. La Garonne de Carbonne, qui coule paisiblement vers l’Atlantique si lointain, avait autrefois une activité débordante, comme l’étaient ses crues tant redoutées. Subsistent un petit port de plaisance, un chemin de halage, des murs en galets de Garonne et de belles promenades à faire tout autour des lieux du festival. »

Un écrin pour la littérature

« Empreinte Carbonne conjugue le plaisir culturel et le plaisir touristique. La ville à la campagne d’Alphonse Allais, elle est ici« , assurent les organisateurs. C’est dans cet écrin de nature qu’aura lieu, les 14 et 15 mai prochains, Empreinte Carbonne, un festival international « polar et justice » qui met à l’honneur le polar et la littérature noire, de la scène du crime aux salles d’audience et avec eux tous les métiers liés à la police et la justice : avocats, magistrats, policiers, journalistes, historiens,… tous sont appelés à la barre.

Empreinte Carbonne se présente comme le projet d’une ville et de ses habitants, porté par plusieurs institutions et organismes dont l’association Arts et culture en Volvestre. Un événement placé sous le signe de la citoyenneté puisqu’il propose de réfléchir aux grands enjeux de notre société, à commencer par les préoccupations écologiques.

30 auteurs de la galaxie « polar »

Parrainé par l’écrivain Olivier Norek, le festival invite pour sa première édition une trentaine d’écrivains français et étrangers parmi lesquels Franck Thilliez, Patrice Gain (lauréat du Prix du polar Sud Ouest-Lire en Poche), Victor Del Árbol, Céline Denjean, et bien d’autres personnalités.

Le festival met également à l’honneur les éditions Cairn qui fêtent leurs 25 ans cette année. L’occasion de (re)découvrir leur collection de romans policiers « Du Noir au Sud » et quelques-uns de leurs auteurs phares.

Différents formats de rencontres sont proposés durant ce festival : tables rondes, expositions, conférences, cafés littéraires,… et même une murder party. La programmation complète du festival sera bientôt disponible sur la page dédiée à Empreinte Carbonne.

L’ours

Lire, c’était ça qu’elle aimait, et jamais autant que quand elle écoutait son père lui faire la lecture. Il avait des livres ayant appartenu à son propre père, qu’il manipulait délicatement et conservait sur un mur d’étagères dans leur petite maison. Il lui lisait des vers de poètes aux noms étranges, comme Homère et Virgile, Hilda Doolittle et Wendell Berry, des poèmes sur les dieux, et les hommes, et les guerres qu’ils se livraient, la beauté des petites choses, et la paix.
Andrew Krivak, L’ours.

Une Escale du livre tournée vers l’avenir

Du 8 au 10 avril, l’Escale du livre fête ses 20 ans dans le quartier Sainte-Croix à Bordeaux. L’occasion de repenser le festival et le salon du livre, de proposer de nouveaux formats et des créations inédites, dans un soutien affirmé à l’édition indépendante.

On se souvient de l’édition 2021 de l’Escale du livre, entièrement repensée à cause de la crise sanitaire. Les organisateurs avaient imaginé une programmation hybride composée d’événements « en présentiel » et de contenus filmés et diffusés en ligne.

Bénéfice de cette période, cette ouverture sur Internet et les réseaux sociaux a permis à l’Escale d’amorcer une révolution numérique de grande ampleur : la création d’un nouveau site internet, la réduction du programme imprimé et le déploiement de sa communication digitale, avec notamment l’introduction de QR codes sur les affiches et les programmes.

De nouveaux auteurs

Une façon de tisser des liens avec une communauté plus large et d’envisager de nouveaux partenariats. « Depuis notre édition numérique, nous avons réellement augmenté le nombre d’abonnés sur nos réseaux sociaux , nous apprend la coordinatrice Gaëlle Thoilliez. Notre communauté se développe, nous arrivons à intéresser un public plus jeune, plus large, qui ne connaît pas forcément l’univers du livre, mais qui y accède par ce biais-là. »

Ce développement se reflète dans la programmation, avec l’apparition d’invités qui ont acquis leur notoriété sur les réseaux sociaux et qui ont suscité l’intérêt des maisons d’édition, au point d’être publiés. « Après deux ans d’édition réduite, cela fait du bien d’amener un nouveau souffle avec des auteurs qui viennent d’une autre sphère », affirme Gaëlle Thoilliez.

Citons par exemple Charlotte Pudlowski qui publie Ou peut-être une nuit chez Grasset et anime un podcast sur l’inceste. Ou Simon Frankart, l’illustrateur du compte Instagram Petites Luxures, très suivi sur Instagram. Ses dessins érotiques, inspirés d’histoires intimes recueillies auprès de sa communauté de followers, ont fait l’objet de plusieurs livres. Côté jeunesse, l’Escale invite Frigiel, un YouTubeur spécialisé en jeux vidéos et auteur de quelques ouvrages sur le sujet. 

Mise à l’honneur de la poésie

Mais la créativité dont font preuve les acteurs des réseaux sociaux n’empêche pas pour autant d’autres modes d’expression plus « traditionnels » de figurer en première ligne de cette édition 2022, comme l’art poétique mis à l’honneur lors de la soirée de lancement de la Maison de la poésie de Bordeaux à laquelle s’associe l’Escale, autre temps fort du festival.

À part ces quelques nouveautés, la 20ème édition de l’Escale du livre reprend, avec 95 auteurs, 10 libraires et une soixantaine d’éditeurs la même trame que les années précédentes : des rencontres, des dédicaces, des débats de société, des performances, … autant de propositions reflétant l’actualité et la production éditoriale. Entre autres créations, signalons deux lectures assurées par la comédienne Sandrine Bonnaire : Les Carnets de Goliarda Sapienza et des extraits du roman Les abeilles grises de l’écrivain Andreï Kourkov, resté en Ukraine auprès des siens.

Retrouvez la programmation complète de l’Escale du livre sur cette page.

À la rencontre du Petit Prince !

Le Musée des Arts Décoratifs de Paris propose la première exposition muséale entièrement consacrée au Petit Prince, le chef-d’oeuvre d’Antoine de Saint-Exupéry.

Phénomène éditorial depuis 75 ans, traduit dans plus de 500 langues ou dialectes, Le Petit Prince totalise chaque année cinq millions d’exemplaires vendus dans le monde et les adaptations musicales, théâtrales et audiovisuelles se multiplient. Il était donc grand temps de lui consacrer une exposition, afin de lui rendre hommage.

Une histoire universelle

À travers des documents et des dessins prêtés par des institutions et des collectionneurs du monde entier, dont des centaines d’éditions étrangères, l’exposition vise à « donner des clés de compréhension pour ce conte aussi universel qu’énigmatique », à la portée philosophique considérable, bien au-delà d’un livre destiné à la jeunesse. 

Saint-Exupéry offre un conte philosophique intemporel, qu’il semble bien difficile de ranger, trop catégoriquement, dans la littérature destinée à la jeunesse, mais plutôt dans celle qui parle intimement à chacun au fil du temps qui passe, chaque lecture trouvant des résonances différentes selon l’âge, le moment, le lieu quelquefois.

Olivier Gabet, directeur du Musée des Arts Décoratifs

La genèse de l’oeuvre

Le début de l’exposition plonge le visiteur dans l’enfance et l’adolescence de Saint-Exupéry, né en 1900 à Lyon. Son éducation, son goût pour la poésie, sa fascination grandissante pour les avions constituent la genèse de l’oeuvre de l’écrivain-aviateur. Le parcours évoque ensuite son expérience dans l’aviation, les années dans l’Aéropostale et revient sur son accident d’avion et la longue marche dans le désert en décembre 1935, un événement qui constitue le point de départ du Petit Prince

« S’il vous plaît, dessine-moi un mouton ! »

La rencontre entre le Petit Prince et Saint-Exupéry se fait autour du dessin, un des talents que possédait l’écrivain : présents dans ses lettres, ses brouillons, ses carnets et ses manuscrits, ces croquis poétiques et stylisés reflètent ses états d’âme et témoignent de la vision du monde de l’écrivain.

On raconte que lorsqu’il était en exil aux États-Unis, ses éditeurs américains, le voyant griffonner sans arrêt, proposèrent à Saint-Exupéry d’écrire un conte pour enfants. Le Petit Prince paraît ainsi pour la première fois outre-Atlantique en avril 1943, puis en France à la fin de la guerre, en avril 1946, lorsque Gallimard en publie l’édition française, après la disparition de l’écrivain-aviateur.

Un document inestimable

Le manuscrit original du Petit Prince constitue la pièce maîtresse de l’exposition proposée par le Musée des Arts Décoratifs. Exceptionnellement prêté par La Morgan Library & Museum de New York, ce document à la valeur inestimable est exposé pour la première fois à Paris, accompagné d’un ensemble de documents pour la plupart inédits : des esquisses, des dessins préparatoires et des aquarelles originales.

À la rencontre du Petit Prince
Musée des Arts Décoratifs – 107, rue de Rivoli, 75001 Paris
Exposition visible du 17 février au 26 juin 2022.