Jón Kalman Stefánsson: « En Islande, les fantômes sont heureux »

L’auteur islandais, lauréat du Prix Jean Monnet 2022 pour son roman Ton absence n’est que ténèbres, a évoqué avec nous son rapport à l’écriture, la culture islandaise, son goût pour la musique et le rôle de la littérature. Une rencontre lumineuse.

Ton absence n’est que ténèbres, c’est d’abord une atmosphère, celle d’un petit village perdu à l’ouest de l’Islande, dans la région des fjords. Un homme, le narrateur, est assis dans une église. Il a perdu la mémoire et ne sait même plus comment il s’appelle. Lorsqu’il se rend dans le petit cimetière jouxtant l’église, une femme vient vers lui, lui sourit et lui dit qu’elle est heureuse de le revoir. Le récit de Jón Kalman Stefánsson se déploie alors, racontant l’histoire de la mère de cette femme, enterrée dans le cimetière, puis celle d’autres personnages d’une même famille, mêlant les vies et les destins, le passé et le présent.

Un écrivain qui s’efface derrière son récit

Choisir un narrateur amnésique pour raconter cette saga familiale permet à l’écrivain islandais de rendre la plus transparente possible la narration, d’éviter que le narrateur, double de l’écrivain, ne s’interpose entre le récit et le lecteur:
« J’ai pensé que c’était une bonne idée d’avoir un narrateur amnésique, dans l’espoir que toutes les histoires et tous les personnages que j’allais rencontrer sur ma route passeraient à travers cet auteur narrateur sans que son identité soit un empêchement, un frein ou une gêne. Parce que je m’inquiète parfois que la personnalité de l’écrivain puisse agir comme un filtre entre le lecteur et les personnages ou les histoires racontées dans un livre. Et d’autant plus maintenant que, depuis une vingtaine d’années, il existe de plus en plus d’autobiographies littéraires où l’auteur avec son nom et son visage est au cœur de la narration, et fait écran à la narration. En d’autres termes, je m’inquiète parfois du fait que l’écrivain puisse sembler plus important aux yeux des lecteurs que l’histoire elle-même, que la littérature elle-même. Et ça ce n’est pas une bonne chose, car la bonne littérature et la poésie sont toujours plus grandes que l’auteur, que l’homme ou la femme qui les a créées. Parce que l’écrivain est amené à mourir, mais ses écrits, sa littérature, ses livres eux ne meurent pas. »

Un récit mêlant passé et présent

Dans ce récit familial que nous propose Jón Kalman Stefánsson, le passé vient éclairer et compléter le présent : l’un et l’autre se répondent, contractant les siècles et les générations, abolissant les frontières temporelles. « Je m’y prends ainsi pour écrire car j’écris comme je pense et comme je perçois la vie » explique l’auteur islandais. « Quand je commence à évoquer ou décrire un personnage, son passé surgit subitement des profondeurs et exige que je m’intéresse à lui. Il semble que pour comprendre un personnage, il est nécessaire de comprendre et connaître son passé. On peut observer que dans toutes les familles, il y a des composantes, des caractéristiques qui traversent les générations, reviennent de générations en générations. Par conséquent, si on veut comprendre un individu, on doit peut-être justement se frayer un chemin dans son arbre généalogique, dans sa famille, à travers ses ancêtres. »

Un hommage à la musique

Une des composantes qui traversent les générations, c’est la musique, omniprésente dans Ton absence n’est que ténèbres, preuve de l’attachement qu’éprouve l’auteur à son égard. « La musique a toujours été extrêmement importante dans ma vie. J’ai toujours écouté de la musique et elle est dans mon sang, dans mes gênes, elle m’habite entièrement. La famille de ma mère compte la plus grande chanteuse d’opéra que l’Islande ait eue, et l’un des plus grands poètes islandais du XXème siècle. Lorsqu’on lit ses poèmes, on a l’impression d’entendre une symphonie : il y a une telle musicalité dans ses vers qu’on en sort totalement enivré. […] Quand j’ai commencé à écrire de la prose, j’ai senti la musique couler à mesure que j’écrivais, elle était en moi. »

Un roman islandais

Bien que sa portée soit universelle, Ton absence n’est que ténèbres est un roman profondément ancré en Islande, un pays qui fait preuve d’un profond attachement à sa langue et à sa tradition littéraire, toutes deux très anciennes. « En Islande, la question de la langue a évidemment été toujours très importante. Et ce qui nous définit comme Islandais, c’est notre langue. Cela a des bons côtés, et des mauvais, parce qu’on peut parfois être témoins d’une sorte de fascisme de la langue. L’islandais est très compliqué grammaticalement, et quand j’étais enfant, ceux qui n’étaient pas bons en grammaire, c’est à peine si on les autorisait à prendre la parole. […] Et nous avons aussi une littérature très ancienne, les sagas, qui datent du XIIIème siècle, et également de la poésie qui remonte au Xème siècle. On a l’impression que tous ces textes conservent la mémoire d’une époque oubliée et disparue depuis très longtemps. Je pense que cela influence la manière dont on regarde le passé. La langue islandaise qui est parlée aujourd’hui est à peu près la même qu’il y a 1000 ans. Je n’arrive pas à m’ôter de la tête que les morts sont capables de nous lire. Si bien que lorsqu’on écrit en islandais, on écrit aussi bien pour les vivants que pour les morts. Pour cette raison, il est beaucoup plus enviable d’être mort en Islande qu’en France : ceux qui sont morts en Islande il y a 1000 ans peuvent toujours lire nos livres, alors qu’en France ceux qui sont morts il y a 1000 ans ne peuvent plus lire le français contemporain. Ils n’ont pas lu toute la littérature moderne et ils ne la connaissent pas. Et c’est pour cela qu’en Islande les fantômes sont heureux. »

Un roman de la mémoire

Les morts sont capables de nous lire et ils sont également dotés de parole, comme le témoigne ces phrases prononcée par l’un d’eux dans Ton absence n’est que ténèbres :

Écrivez, et nous n’oublierons pas.
Écrivez, et nous ne serons pas oubliés.
Écrivez, parce que la mort n’est qu’un simple synonyme de l’oubli.

Car Ton absence n’est que ténèbres est un roman de la mémoire, un récit qui évoque le passé d’une famille sur plus de six générations, afin que tous se souviennent des défunts, ces morts qui ont disparu dans les ténèbres de l’oubli. « Nous avons le devoir de nous souvenir. Oublier c’est trahir la vie. » dit Pall, un des personnages du roman. « C’est la différence entre la grande histoire, l’histoire de l’humanité, et la littérature » explique Jón Kalman Stefánsson. « Lorsque la littérature parcourt du regard la grande scène qu’est l’histoire du monde, elle voit ces petites vies, ces petits personnages. Et parfois, les plus belles vies sont celles qui traversent le temps sans que personne ne les remarque. Parce que ces vies sont belles, débordantes de contenu, à leur manière tout à fait discrètes. J’aime beaucoup écrire sur ce type de personnes et je considère que l’un des rôles de la littérature c’est d’écrire sur des vies qui ont disparu, qui ne sont plus. »

Note : 5 sur 5.

Ton absence n’est que ténèbres
Jón Kalman Stefánsson
Eric Boury (traduction)
Grasset, 2022, 608 pages.

Lettres du monde : le goût des rencontres

Voici tout l’enjeu du festival Lettres du monde qui débute vendredi 17 novembre à Bordeaux : faire venir des auteurs étrangers et les emmener là où ils ne seraient pas allés seuls en Nouvelle-Aquitaine, à la rencontre des lecteurs. Ce que la littérature du monde fait de mieux s’approche de nous. Découverte d’un festival itinérant.

Un festival dédié à littérature étrangère

Depuis 19 ans, le festival Lettres du monde fait entendre des voix venues du monde entier en Nouvelle-Aquitaine. Et cette année ne dérogera pas à l’esprit fondateur. « Le festival poursuit avec détermination son travail de lecture du monde », assure Alexandre Péraud, son président. Le coup d’envoi du festival sera d’ailleurs donné par l’Ukrainien Andreï Kourkov, invité d’honneur du festival et témoin incontournable de la guerre qui se joue actuellement en Europe. 

Il ne sera pas seul : quinze auteurs de douze pays différents se croiseront pendant les dix jours que dure le festival et interrogeront le thème de cette édition : « Le meilleur des mondes ? » Chacun à leur manière. Par l’entremise d’un thriller médiéval avec le Catalan Luis Llach. En défendant les minorités avec le Haïtien Louis-Philippe Dalembert. Sous l’angle de l’intime avec la grande auteure américaine Laura Kasischke. Le programme est riche et dense, articulé autour de rencontres uniques. Il n’en faut pas moins pour « penser le monde, l’interroger, le raconter, faire vivre le désir de partage », résume Martine Laval, conseillère littéraire du festival.

Un festival unique en Nouvelle-Aquitaine

L’Américain Douglas Kennedy à Mont-de-Marsan dans les Landes, le Franco-Vénézuélien Miguel Bonnefoy à la librairie Le gang de la clé à molette à Marmande et la Franco-Iranienne Maryam Madjidi à Casseneuil dans le Lot-et-Garonne, le Brésilien Pedro Cesarino à Brive-la-Gaillarde en Corrèze, le Colombien Santiago Gamboa à la médiathèque de Biarritz dans les Pyrénées-Atlantiques, le Suisse Joseph Incardona à La Tremblade en Charente-Maritime,… « Ce n’est pas un salon du livre, explique la directrice du festival, Cécile Quintin, les auteurs bougent tous les jours. »  Son premier challenge est d’ailleurs de trouver des auteurs qui acceptent ce genre de proposition.

Ce qui est intéressant, c’est d’amener des auteurs étrangers dans des petites villes et communes rurales. C’est un moment unique dans l’année, pour les organisateurs et les lecteurs.

Cécile Quintin

Puis de demander aux médiathécaires et libraires quels auteurs ils/elles veulent recevoir. Un système de voeux permet de leur laisser le choix tout en tenant compte des disponibilités des auteurs. « Plus ils/elles sont motrices dans le choix des auteurs, mieux c’est. Car après, ils/elles font un gros travail de fond sur le terrain. Ce sont eux et elles qui font connaître les auteurs, circuler les livres et qui motivent les lecteurs. »

Dans cette interview réalisée le 27 octobre dernier, Cécile Quintin revient sur les enjeux de ce festival littéraire itinérant.

Cette année, le festival Lettres du monde visitera trente-cinq villes de Nouvelle-Aquitaine et organisera soixante rencontres. Il y en a forcément une près de chez vous !

Au nom du père (Carnet de mémoires coloniales)

Dans un livre adressé à son père, l’auteure portugaise Isabela Figueiredo raconte son enfance au Mozambique, avant l’indépendance. Un témoignage sans fard où elle règle ses comptes avec l’idéologie coloniale.

Il a fallu plusieurs décennies à Isabela Figueiredo pour parvenir à traduire en mots les premières années de son existence au Mozambique, une enfance enfouie au plus profond de sa mémoire. Car lorsqu’elle arrive au Portugal en 1975 à l’âge de treize ans, personne n’a envie d’entendre le récit de ces retornados, ces Portugais revenus des colonies après les guerres d’indépendance.

La mort de son père, survenue en 2001, agit comme un détonateur : après des années de silence, Isabela Figueiredo s’autorise à faire surgir les mots, à donner vie à ce récit qu’elle dédie à son père, elle cette « petite Noire blonde » née sur une terre d’emprunt, le Mozambique auquel elle reste viscéralement attachée. Elle y raconte le colonialisme, le racisme et la violence des Portugais à l’égard de la population africaine, mais aussi l’amour infini pour ce père à l’idéologie nauséabonde, incarnation du colon blanc.

Les mots qui jaillissent de la plume d’Isabela Figueiredo ne sont pas de ceux qu’on utilise comme décor, pour embellir une phrase ou séduire le lecteur. Pour traduire le comportement des Blancs et leur violence à l’égard des Noirs, l’auteure choisit un vocabulaire emprunté à l’idéologie coloniale. Une façon peut-être d’exorciser le mal dont elle a été témoin et dont elle se sent coupable encore aujourd’hui.

La langue d’Isabela Figueiredo est crue, directe, saturée par une terminologie raciale qui mène au bord de la suffocation.[…] L’auteur doit dire ce monde d’autrefois dans les termes en vigueur à l’époque. Il lui faut retrouver l’atmosphère et les comportements du passé. Briser le silence n’est possible qu’à cette condition.

Léonora Miano, Préface

Durant ses années mozambicaines, Isabela Figueiredo est déchirée entre son appartenance au peuple colonisateur et son attachement à cette terre qui l’a vue naître. « Je pensais que mon âme était noire », confesse celle qui aurait voulu s’asseoir sur les genoux du vieux Manjacaze pour s’enivrer de ses récits d’Afrique.

Car même si le colonialisme impose une séparation entre les Blancs et les Noirs, Isabela se sent attirée par ce peuple noir, fascinée par ces femmes dont elle imite la démarche, séduite par la beauté de leurs corps qui ondulent. Elle ne se lasse pas d’observer leurs pieds nus qui foulent le sol, alors que ses pieds de petite fille blanche sont contraints dans des chaussures étroites, l’empêchant de fouler la terre africaine.

Je pouvais, en chemin, me déchausser en cachette dans les buissons et marcher clandestinement, sans souliers, pour vérifier si mes pieds pouvaient être comme les pieds des Noirs, aux orteils écartés et à la plante endurcie, fendillée.

Le questionnement identitaire se fait plus insistant lorsque l’auteure raconte son départ pour le Portugal à treize ans, un éloignement vécu comme un déracinement. À l’heure où le Mozambique gagne son indépendance, les parents d’Isabela l’envoient vivre chez sa grand-mère au Portugal, leur pays de naissance. Un autre chapitre de sa vie commence alors, loin de sa terre natale à elle, dans un pays qu’elle ne connaît pas et qui ne veut rien savoir de ces colons revenus en métropole.

Carnet de mémoires coloniales est un récit nécessaire qui vaut mieux que tous les livres d’histoire sur le sujet: un récit intime raconté à hauteur d’enfant, un point de vue inédit sur le colonialisme et un chant d’amour au père et à la terre africaine.

Note : 4 sur 5.

Carnet de mémoires coloniales
Isabela Figueiredo
Myriam Benarroch et Nathalie Meyroune (traduction)
Léonora Miano (préface)
Éditions Chandeigne, 2021, 240 pages.


Un documentaire sur un lieu de CREATION littéraire

Dans La Vie de Chalet, la réalisatrice Mélanie Gribinski dresse un portrait d’une résidence d’écriture emblématique de la Nouvelle-Aquitaine : le chalet Mauriac. Une jolie occasion de découvrir un outil régional dédié à la création et un lieu exceptionnel.

Cinq chambres, trois bureaux, une bibliothèque et une cuisine. C’est dans cette maison bourgeoise du 19ème siècle située à Saint-Symphorien en Gironde, au cœur d’un grand parc en lisière du massif forestier landais, que l’écrivain François Mauriac, prix Nobel de littérature en 1952, venait en vacances. Devenue propriété de la région Nouvelle-Aquitaine, elle est aujourd’hui une résidence d’écriture parfaitement intégrée à l’écosystème régional du livre. 

La réalisatrice Mélanie Gribinski y a promené sa caméra pour saisir la vie et le travail dans cette superbe demeure de bois et de briques où près de 300 auteurs et autrices de cinéma, de roman, de poésie, de traduction, de bande-dessinée, de littérature jeunesse, etc. ont passé plusieurs mois.

Portrait d’un lieu de création

Mélanie Gribinski a choisi de montrer la vie dans le chalet Mauriac comme on fait un portrait, en plan serré. Les interviews d’auteurs, la caméra qui les suit dans l’escalier de bois, les moments de travail dans la bibliothèque ou dans une chambre, les repas dans la cuisine ou les moments de détente dans le parc sont autant d’éléments qui donnent à voir, de près, cette résidence d’écriture girondine. « J’ai dû faire à peu près 45 portraits. J’adorais venir ici, faire la route au travers des pins pour passer du temps avec quelqu’un que je ne connaissais pas », raconte-t-elle.

Celle qui commença sa carrière comme photographe portraitiste filme avec douceur et respect la vie et surtout le travail de création. Les artistes accueillis, dotés d’une bourse, sont là pour travailler. Le temps qu’offre la résidence est « un passage où l’on peut se consacrer à l’écriture », rappelle l’écrivain Markus Malte. Avec subtilité et une vraie esthétique, la réalisatrice montre le calme studieux qui enveloppe le chalet en journée – et parfois la nuit. Ce calme où affleure tout juste le bruit feutré du travail d’écrivain. Des doigts qui pianotent sur un clavier, des pas dans un escalier, des chaises qui roulent, de l’eau qui coule, des murmures. Les œuvres qui se construisent, les pages qui se noircissent.

Les auteurs, pour beaucoup, n’ont pas de statut. L’exercice de la « profession » d’auteur est complexe. Les résidences sont des moments d’apaisement où les auteurs peuvent créer.

Patrick Volpilhac

Il y a dans ce documentaire de très beaux moments, de ceux où le temps semble suspendu. Dans une séquence émouvante, Chantal Durros, l’intendante du chalet, explique s’attacher à connaître et respecter les rythmes de travail propres à chaque résident…

Une existence fragile

La vie de chalet (c) Melanie Gribinski

La Vie de Chalet questionne également le rapport entre la création et les politiques culturelles. Si la résidence d’écriture installée dans le chalet Mauriac semble bien intégrée à la politique de création de la région, son existence reste pour le moins fragile dans la mesure où son fonctionnement est intimement lié aux décisions politiques. « Chaque fois que l’on présente les dossiers culturels, les deux-tiers sont fusillés debout par le RN [ndlr : Rassemblement National] », rappelle Alain Rousset, le président de la région Nouvelle-Aquitaine. Et cela a de quoi inquiéter. L’économie du livre est précaire, les gains sont faibles, rarement à la hauteur des dépenses et du temps engagés pour l’écriture. En cela, La Vie de Chalet rappelle avec justesse le poids du politique dans la décision de faire vivre une structure culturelle.

Construit autour d’interviews montées selon de grandes thématiques – le travail de création, l’accompagnement de la résidence, les liens noués entre les résidents, la localisation dans une commune rurale du sud de la Gironde – le documentaire séduit surtout par son traitement du travail en train de se faire et de la vie dans cette résidence d’écriture. S’il donne par moment le sentiment de répondre à une commande institutionnelle et se contente d’évoquer les liens des résidents avec le village de Saint-Symphorien nous laissant sur notre fin, La Vie de Chalet montre ce qui est rarement filmé : le lien entre création et politique culturelle. 

À voir sur la plateforme France.tv jusqu’au 29 octobre 2022.

La Vie de Chalet
Mélanie Gribinski
Documentaire
53 mn
Co-production ALCA Nouvelle-Aquitaine et Les Productions du Lagon, 2022.

LES ANNEES SUPER 8 : autobiographie intime et universelle

La romancière Annie Ernaux cosigne avec son fils David un documentaire réalisé à partir de films familiaux tournés entre 1972 et 1981. Tout à la fois histoire familiale et récit d’une époque, ce moyen métrage touchant s’inscrit pleinement dans l’oeuvre d’Annie Ernaux.

Sur les images surannées, il y a une femme dont les cheveux châtains sont retenus dans un foulard bariolé. Si elle « semble toujours se demander ce qu’elle fait là», c’est bien elle, Annie Ernaux, discrète, un peu figée devant cette caméra intimidante – une caméra Super 8 – que son mari, Philippe Ernaux, acheta en juin 1972. Le couple vient de s’installer à Annecy en Haute-Savoie, avec ses deux enfants et il entend de la sorte « garder la trace des bonheurs et des choses belles, filmer ce que jamais on ne verra deux fois ». Toujours derrière la caméra, Philippe capture ainsi les moments extraordinaires de la vie d’une famille de la classe moyenne : anniversaires, fêtes de famille, et bien sûr les voyages.

Bande-annonce, Les années Super 8, film d’Annie Eranux et de David Ernaux, 2022

Un témoignage d’un époque et d’une classe sociale

Le commentaire écrit et dit par Annie Ernaux fait tout l’intérêt de ce documentaire. Il donne à voir une réalité subtile, de celle que l’on ne montre pas sur ces images destinées à ne capter que le bonheur familial et à n’être diffusées que devant un auditoire restreint les weekends de mauvais temps ou d’hiver. Si les images montrent l’intérieur du logement de la famille, le canapé gris bleu, les objets de valeur et les motifs chargés de la tapisserie, si elles convoquent une certaine nostalgie en montrant la mère d’Annie qui vit alors au domicile du couple et de ses enfants, le texte d’Annie Ernaux met en avant un mal-être plus profond, une quête de soi intime : « Derrière tout cela, je mets une autre réalité, explique-t-elle. J’écris les après-midis sur ce qui m’a séparé de mon milieu social. »

L’auteure poursuit en cela son oeuvre d’observation de la société avec son style, une écriture blanche, qu’elle pose ici sur des images. Un peu comme son roman Les années, chef-d’oeuvre paru en 2008, qui bien qu’écrit à la première personne est le récit collectif d’une époque, Les années Super 8 à travers les films d’une famille, sa famille, est aussi le témoignage d’une classe sociale – la classe moyenne, d’une époque – les années 70, et de l’existence d’une femme – Annie Ernaux, mère de famille, fille et romancière.

Des images rares

Dans ce documentaire entièrement constitué d’images extraites de films familiaux, les voyages qu’effectue la famille tiennent une place majeure. Du Chili à Londres, en passant par l’Espagne et le Portugal, les Ernaux découvrent le tourisme international en même temps que les Français. Un tourisme qui se pratique à l’écart des populations locales faisant de certaines images de rares et précieux documents.

Les films sur l’Albanie et le Maroc ont un intérêt documentaire évident. Quand les Ernaux partent en Albanie en 1975 le pays est verrouillé par le régime communiste et rien ne peut être filmé sans l’autorisation de l’interprète qui les accompagne. Quant aux trois semaines de « désoccupation profonde » passées au Maroc, pratiquement exclusivement dans un hôtel à Tanger, Annie Ernaux retient surtout le silence du personnel.

Plus émouvant, la romancière constate un lent et inéluctable effacement de sa présence sur les images filmées par son mari, parallèlement au délitement de son couple. Elle raconte les disputes récurrentes lors de leur voyage en Espagne : « Dans ce tête-à-tête permanent éclatent les conflits. Je notais dans mon journal : je suis de trop dans sa vie. »

Les années Super 8 est un très beau témoignage d’une époque et d’une classe sociale, comme sait parfaitement le faire Annie Ernaux. Touchant et nostalgique, le film raconte aussi la romancière et son puissant désir d’émancipation par l’écriture. En cela, il est à inscrire dans son oeuvre.

À voir sur Arte.tv

Les années Super 8
Un film de Annie Ernaux et David Ernaux
Les Films Pelléas
2022

La poésie de Laura Kasischke

Avec Où sont-ils maintenant, anthologie personnelle, l’auteure américaine nous emmène à la découverte de son univers poétique, source de toute son œuvre. Vivifiant.

Surtout connue en France pour ses romans publiés chez Christian Bourgois, Laura Kasischke est entrée en écriture par la voie poétique, un art auquel elle se consacre depuis 1991 et qu’elle ne cesse d’explorer depuis lors, tout en continuant à publier des œuvres romanesques.

Je me considère avant tout comme une poétesse.

Laura Kasischke

Pour constituer ce recueil intitulé Où sont-ils maintenant (Where Now), l’auteure originaire du Michigan a choisi dix poèmes extraits de chacun de ses recueils passés, accompagnés de vingt nouveaux poèmes. Présentés antéchronologiquement, les poèmes rassemblés dans cette Anthologie personnelle permettent au lecteur de parcourir l’œuvre de Laura Kasischke et d’en percevoir l’évolution.

Les poèmes proposés sont construits par association d’idées et de sensations (une influence du mouvement surréaliste), un flux de pensée qu’elle saisit sur de petits carnets, au fil de la journée. Onirisme et méditation se mêlent à des images et des scènes dont elle est témoin à la maison ou au supermarché où elle fait ses courses, ces instants du quotidien dans lesquels elle puise son inspiration poétique. « Je travaille avec la seule matière que j’ai à disposition, celle de l’univers domestique, et des gens que je rencontre. Énormément de drames se jouent dans une cuisine. Je trouve intéressant de donner une véritable valeur à cette vie quotidienne et domestique. On peut trouver du mélodrame jusque dans son propre foyer. » déclarait-elle à la Maison de la Poésie en novembre dernier. 

Je commence toujours un poème en écrivant simplement – dans un cahier, avec un stylo – et je ne le considère pas comme un « poème » (c’est trop intimidant), donc je commence par une image ou quelques mots peut-être, que je pense pouvoir placer dans le bon ordre. Puis ces mots (ou cette image) suggèrent les mots suivants, et les suivants, et les suivants.

Où sont-ils maintenant demande Laura Kasischke, et où irons-nous après ? La poétesse interroge le passé qui l’a construite, celui-là même qui a englouti les êtres chers, désormais disparus. En trente ans de vie, elle a observé ses contemporains, vu partir ses parents, grandir son fils et avec lui son inquiétude de mère. D’ailleurs, l’évocation de l’enfance et l’adolescence est fréquente dans ce recueil, la sienne et celle de son fils, maintenant adulte. Et c’est cela, au fond, le thème que parcourt cette Anthologie personnelle : où est donc passé le passé ? Une interrogation qui, selon elle, permet de mieux comprendre le présent et appréhender le futur.

Ces souliers dans la paume de ma main ?
Tu les as mis à tes pieds, un temps.

Cette couverture de la taille d’un essuie-mains ?
Je la drapais autour de toi endormi

dans mes bras comme cela. Tu vois ? Le monde
un temps a été petit comme cela quand

tout le reste au monde était moi.

Poème Deux hommes & un camion

Les poèmes de Laura Kasischke sautillent d’une image à l’autre, opèrent des glissements entre les choses et les êtres, franchissent les barrières temporelles. La lecture de ce recueil peut dérouter parfois, mais surgit alors une image qui surprend et sublime le texte. À mesure que le style de l’auteure s’affirme, les poèmes semblent moins narratifs, plus libres, de forme plus courte.

Une chose ne change pas cependant, c’est l’importance que la poétesse accorde à la sonorité de ses poèmes, une musique que Sylvie Doizelet a su préserver lors de la traduction du recueil en français. « L’essentiel d’un poème est la musicalité bien davantage que l’histoire ou son aspect sur la page, sa musicalité et les images qui s’en dégagent » affirme Laura Kasischke. 

Une œuvre poétique surprenante et vivifiante.

Note : 4 sur 5.

Où sont ils maintenant. Anthologie personnelle.
Laura Kasischke
Sylvie Doizelet (traduction)
Gallimard, 2021, 384 pages.

La maison de Jean Giraudoux se renouvelle grâce au numérique

La maison natale de Jean Giraudoux à Bellac (Haut Limousin) investit le numérique pour partager la vie et l’œuvre de ce grand auteur de théâtre et de littérature. Nouvellement nommée La Digitale, elle propose une expérience muséale sensible et technologique qui vaut le détour.

« Quand je suis allée pour la première fois à Bellac, dans la maison de Jean Giraudoux, raconte Christelle Derré, metteure en scène, je l’ai trouvée si triste. » On est alors en 2018 et elle est invitée par le festival de Bellac qui lui a donné carte blanche pour mettre en scène une pièce de l’auteur, Sodome et Gomorrhe. Le spectacle qu’elle propose mêle effets technologiques, mapping et troupes d’acteurs. Joué en extérieur, avec pour cadre la façade de la maison, il donne un coup de fouet aux spectateurs et aux gardiens de l’œuvre de Giraudoux qui lui proposent un grand chantier : réhabiliter et moderniser sa maison natale.

Le numérique dans tous ses états (ou presque)

Il n’en fallait pas plus à Christelle Derré pour investir les lieux avec le Collectif Or NOrmes dont elle assure la direction artistique. Rompue à l’écriture théâtrale qu’elle lie au visuel, au musical, ou encore à la chorégraphie, elle reconnaît s’être « amusée à poser une proposition transmédia à l’échelle d’un homme et de sa vie ».

Et c’est réussi : le spectateur est au cœur d’un parcours spectatorial avec des installations et des dispositifs artistiques qui le transforment en « spect-acteur » au fur et à mesure de ses interactions avec les œuvres. Et des interactions, il y en a. Dans chaque pièce de la maison sont placés une installation ou un dispositif à vivre : au rez-de-chaussée, la table interactive offre une plongée dans une encyclopédie vivante de la vie de l’auteur et la table des communications permet d’écouter, avec un casque, les débats qui ont entouré des moments controversés de sa vie.

Au premier étage, le « spect-acteur » est accueilli par un buste qui prend vie grâce à un système de mapping vidéo et laisse entendre la voix de Jean Giraudoux; une expérience de réalité augmentée à partir d’affiches théâtrales publicitaires d’époque est rendue possible avec un smartphone. Au deuxième étage, une installation vidéo met en présence Ondine, personnage surnaturel et aquatique inventé par Jean Giraudoux, avec le visiteur quand, dans une autre pièce, des téléphones rouges présentent la vie intime et amoureuse de l’auteur.

Un regard novateur sur le contenu du musée

La présence d’acteurs, pendant les heures d’ouverture à la visite, complète la dimension transmédia de ce projet de réhabilitation et de modernisation. Ils assurent la consultation « giralducienne ». À partir d’un questionnaire rempli par les visiteurs devenus patients d’un jour, les comédiens, docteurs d’un jour, posent un diagnostic et délivrent une ordonnance destinée à revigorer leur santé littéraire !

L’aspect spectatorial proposé par le collectif de théâtre Or NOrmes s’accommode bien de l’œuvre de Jean Giraudoux qui n’hésitait pas à utiliser tous les moyens disponibles à son époque. « Je n’ai pas l’impression de travailler avec des nouvelles technologies, assure Christelle Derré, mais avec des outils de mon temps. »

Quand on écoute ses textes contre Hitler, sur le fait qu’il n’y a pas assez de femmes à l’Assemblée, sur son rapport à l’écologie, on découvre un homme moderne, en avance sur son temps. C’est un grand humaniste.

Christelle Derré

Une épine dans le pied

Taxé d’antisémite et de raciste pour son essai Pleins pouvoirs paru en 1939, Jean Giraudoux divise. La muséographie n’entend pas cacher ses propos nauséabonds, mais elle les contextualise, dans cette France alors à quelques mois de la guerre où les fascistes n’avancent plus masqués depuis pas mal de temps déjà. Le climat est délétère et Jean Giraudoux, qui fit une carrière dans la diplomatie française, s’embourbe. « On fait entendre les pires textes de Giraudoux pour que le visiteur puisse avoir son opinion ». Un passage délicat où il a fallu composer avec ce passé sombre sans toutefois s’en détourner. 

Les conditions de sa mort, le 31 janvier 1944, ne sont pas moins obscures. A-t-il été empoisonné par la Gestapo à l’aide d’un poison extrait d’une fleur, la digitale ? Quoi qu’il en soit, cet épisode trouble aura au moins permis de trouver le nom de cette maison-musée.

La Digitale, Maison natale de Jean Giraudoux donne à voir et à entendre le sensible dans les textes de cet auteur majeur du XXème siècle dont les pièces, Amphitryon 38, La guerre de Troie n’aura pas lieu, Ondine, La Folle de Chaillot, ont marqué leur époque au point de devenir des classiques du répertoire théâtral français. Avec seulement un buste représentant l’auteur, la priorité est donnée à l’œuvre et surtout à l’immersion dans l’œuvre.

En plein coeur de Bellac, charmante ville de Charente, il y a maintenant un lieu unique, contemporain qui propose une expérience originale. L’endroit idéal pour (re)découvrir Jean Giraudoux. Et pour ne rien gâcher, les visites sont gratuites tout l’été.

Une chaîne YouTube pour les bibliothèques de Bordeaux !

Depuis quelques jours, le réseau des bibliothèques de Bordeaux se dévoile sur sa toute nouvelle chaîne YouTube. Une façon de se rapprocher de ses usagers et d’intéresser d’autres publics.

Déjà présentes sur les réseaux sociaux depuis une dizaine d’années (Facebook, Twitter, Instagram), les bibliothèques de Bordeaux ont constaté l’intérêt grandissant du public pour les contenus numériques, et plus particulièrement les vidéos diffusées sur internet. Il est alors apparu comme une nécessité de proposer une diffusion en ligne des conférences et des concerts proposés dans leurs murs, pour permettre à un large public d’accéder à la programmation culturelle et pour offrir une seconde vie numérique à ces événements. Le choix d’une chaîne YouTube, un des sites les plus fréquentés au monde, s’est vite imposé.

L’idée est d’assurer une présence, même quand la bibliothèque est fermée, de proposer des contenus à tout moment de la journée, même le soir, même la nuit. 

Yoann Bourion, directeur des bibliothèques de Bordeaux

Progressivement, durant environ une année, la réflexion autour des captations et des contenus vidéos s’est enrichie, au point de faire l’objet de réunions éditoriales régulières, à l’image de celles tenues par les rédactions de presse. Concevoir une charte éditoriale, choisir les contenus à diffuser, établir une programmation cohérente en adéquation avec les missions des bibliothèques,… La ligne éditoriale composée, la chaîne YouTube voit le jour, constituée de différentes rubriques.

5 sur Cinq

La rubrique 5 sur Cinq regroupe les coups de coeur des bibliothécaires pour des livres issus des collections. « Nous sommes partis du constat que les booktubes étaient très suivis et que nous, en tant que professionnels du livre, étions aussi légitimes pour donner des conseils de lecture assure Yoann Bourion, le directeur des bibliothèques. Nous pouvons proposer des livres, mais également étendre nos coups de coeur à des films, des disques,… Il y a 400000 documents à Mériadeck ! La seule contrainte est de le faire dans un format court, en trois minutes maximum. »

Les Trésors de la Bibliothèque

Le fonds patrimonial situé à la bibliothèque Mériadeck contient des documents inestimables, certains datant du XIIème siècle. Grâce à l’assistance de la société de production Grand Angle, ce fonds est présenté dans des vidéos de qualité, certaines sous-titrées en anglais : « Nous avons jugé important de mettre en lumière ce fonds, très connu des chercheurs du monde entier, mais moins du grand public », explique Yoann Bourion.

Les RDV de l’Auditorium

Une des premières décisions prises lors des réunions éditoriales a été celle de capter les conférences et les concerts proposés à l’Auditorium de la bibliothèque Mériadeck, comme les conférences de Barbara Stiegler sur la citoyenneté, dont l’une a dépassé les 35000 vues sur la chaîne.

L’originalité de notre projet par rapport à celui des autres bibliothèques de France, c’est de montrer les coulisses de notre métier.

Mon métier

Sans aucun doute la plus originale, cette rubrique a pour objectif de faire connaître les métiers à l’oeuvre au sein réseau des bibliothèques de Bordeaux où travaillent 250 personnes. Développée pour l’instant sous la forme de courtes vidéos de 3 minutes, elle accueillera également des reportages plus longs, pour expliquer par exemple les étapes successives de la chaîne du livre, de la commande jusqu’à l’acquisition par le bibliothécaire et sa mise à disposition des usagers.

À l’avenir, cette rubrique lèvera le voile sur les coulisses que sont les magasins, ces parties secrètes et inconnues du grand public, où sont conservés les documents. « La bibliothèque Mériadeck, c’est 32000 m2 et le lecteur n’en voit que 8000 m2. Nous jugeons intéressant de montrer les 24000 m2 restants, une vraie ville dans les souterrains. » explique le directeur. 

Ce projet rencontre parfois quelques réserves de la part de certains agents, car le métier de bibliothécaire est aussi un métier de l’ombre. Faire son métier est une chose, en parler face caméra en est une autre. Les plus motivés se lancent, mettant en confiance les plus réticents.

Pour aider à l’élaboration de ce projet, des formations internes avec des YouTubeurs sont proposées aux bibliothécaires, et la partie technique confiée à une petit équipe chargée du tournage. Au final, « les bibliothécaires ne sont pas pollués par les aspects techniques et peuvent se consacrer à ce qu’ils ont à dire sur leur métier ».

Et à l’avenir ? La ligne éditoriale de la chaîne YouTube est pour l’instant centrée sur les bibliothécaires, mais dans quelque temps la parole sera partagée avec les lecteurs, comme elle l’est déjà avec les lecteurs de BD présentant les livres de la sélection du Prix Griboullis. Elle le sera ensuite avec différents partenaires, des libraires, des labels locaux,…

Le réseau des bibliothèques de Bordeaux s’adapte, innove, et tisse plus que jamais des liens avec son public.

Le roman d’une ville (par Santiago Gamboa)

Dans Une maison à Bogota, le romancier Santiago Gamboa livre un récit sur une maison et la vie de ses deux habitants. Et un peu plus : il dresse un portrait de la capitale de la Colombie. Un roman superbement écrit à la narration très maîtrisée. À lire absolument !

L’histoire. Grâce à l’argent que lui rapporte un prix littéraire, un philologue colombien peut se permettre d’acheter une maison dans le quartier de Chapinero, à Bogota, qu’il convoite depuis plusieurs années. « Depuis tout petit j’étais intrigué par la maison que je viens d’acheter […] et je crois que j’ai toujours eu envie d’y habiter. » Donnant sur le parc Portugal situé sur les hauteurs de la ville, la maison est l’une des plus belles du quartier et offre une vue d’où il peut apprécier les « montagnes vert foncé de Bogota […], une des rares beautés de la ville ». L’homme de lettres, également narrateur, habite cette maison avec la tante qui l’a élevé après la mort de ses parents dans l’incendie tragique de leur maison.

Une fois passée l’agitation du déménagement, le narrateur s’y installe et les souvenirs affluent. La maison représente le besoin de revenir à l’endroit où il a forgé son identité, et ce d’autant plus qu’il a passé sa vie hors de Colombie, avec sa tante diplomate pour l’ONU, entre les lycées français de Varsovie ou de Bruxelles, entre l’Inde, l’Espagne et Djarkarta… « Tous les romans construisent une sorte de demeure, explique l’auteur. La maison est un symbole esthétique, philosophique, c’est la maison de famille où l’on a été aimé. La maison est l’opposée de la ville où vivent des gens qui me sont inconnus, alors que la maison c’est [mon] univers. »

Le roman de Bogota

Santiago Gamboa fait de la ville de Bogota un véritable personnage de son roman. Le narrateur en décrit l’oppression, la violence, la pauvreté, les inégalités sociales. « Ici, par comparaison, Les Misérables de Victor Hugo pourrait passer pour un portrait de la bourgeoisie française », raconte-t-il. La ville est le théâtre de ses explorations extrêmes, et mêmes franchement sordides. Cet homme, pourtant un peu ennuyeux et solitaire, a éprouvé dans son adolescence un besoin d’aventure. Sous la bienveillante protection de son chauffeur Abundio qui l’accompagne toujours, il découvre les bas-fonds, les soirées nazies et sadiques, les lieux de perdition, la drogue et la misère. Comme dans un tableau de Jérôme Bosch, Bogota est décrite comme l’enfer – un enfer froid, vu le climat-  où les rapports entre les classes sociales sont violents et où beaucoup d’habitants ont peine à survivre.

Une maison à Bogota raconte l’hostilité et l’âpreté de la ville et ce contraste flagrant avec la vie confortable et la culture cosmopolite du narrateur, parfaitement conscient de sa chance. Celui-ci – comme l’auteur d’ailleurs, parce qu’ils ont tous les deux vécu dans d’autres parties du monde -, ont pu observer d’autres cultures, d’autres manières de vivre. Ils en reviennent changés. « Le voyage donne la possibilité de relire l’endroit d’où on vient. J’ai l’impression que plus on s’éloigne, plus on se connaît. »

Se voir, regarder sa propre vie depuis la fenêtre d’en face : c’est peut-être à cela que servent les livres, à cela que sert l’art. Pour nous regarder depuis un endroit éloigné.

Les mémoires d’un homme de lettres

Alors, ces mémoires sont l’occasion de se questionner : qui est l’observateur ? Qui est l’observé ? Dans une scène évocatrice, un jeune garçon observe le narrateur depuis sa fenêtre alors que ce dernier est confronté à la mort, rappelant un épisode de son enfance. Pour Santiago Gamboa, « la littérature est un espace dans le monde. Un espace imaginaire, certes, mais dans le monde. La littérature est la seule possibilité que l’on a de se voir depuis la fenêtre d’en face ». Ce n’est pas un hasard si elle tient une place de choix dans ce roman, si la bibliothèque est située à l’étage, un peu en hauteur donc. Ce n’est pas un hasard non plus si c’est à travers elle que Santiago Gamboa choisit de faire un formidable portrait de son propriétaire.

Un exercice de style très maîtrisé

Construit autour des différents espaces de la maison que le narrateur explore un à un, le rez-de-chaussée, les appartements de sa tante, la chambre des infirmières, la bibliothèque, la mansarde, le récit convoque des souvenirs et dessine, petit à petit, les portraits de ses deux occupants, le narrateur et sa tante, militante de gauche, un temps proche des FARC. « J’ai voulu faire un pari littéraire, explique l’auteur. Il y a un auteur de j’admire, George Perec, qui faisait ce genre de jeu. Je me suis toujours dit que c’était merveilleux de raconter une histoire en partant de quelque chose de différent, de l’argument. »

Le pari est réussi. Une maison à Bogota, par la maîtrise du récit et la beauté de l’écriture, contribue à donner à la capitale colombienne une dimension littéraire et à affirmer Santiago Gamboa comme l’une des voix les plus originales de la littérature colombienne.

Note : 4.5 sur 5.

Une maison à Bogota
Santiago Gamboa
François Gaudry (traduction)
Editions Métailié, 2022, 190 pages.

Céline : les manuscrits retrouvés

À l’occasion de la parution de Guerre, roman inédit de Louis-Ferdinand Céline, la Galerie Gallimard présente une nouvelle exposition consacrée aux manuscrits retrouvés de l’auteur. À voir jusqu’au 16 juillet.

En quittant la France le 17 juin 1944, se sentant menacé à l’approche de la Libération pour ses prises de position durant l’Occupation, Louis-Ferdinand Céline laisse derrière lui plusieurs liasses de manuscrits qu’il croit, après-guerre, perdus à jamais. Récemment, ces manuscrits réapparaissent mystérieusement et, pour la première fois, la Galerie Gallimard en présente des extraits. Une invitation à parcourir le projet littéraire entrepris par l’auteur après la parution de Voyage au bout de la nuit (1932).

Un projet littéraire

Ce travail littéraire se présente sous la forme d’un grand triptyque abordant des périodes de sa vie très peu évoquées : son enfance, la guerre et Londres. Des milliers de feuillets inédits témoignent de cette vaste entreprise, dont seul le premier volet sera achevé avec Mort à crédit (1936). L’auteur avait cependant avancé sur ses autres romans, plus particulièrement sur celui évoquant l’épisode central de sa vie, deux cent cinquante feuillets que Gallimard vient de publier sous le titre de Guerre.

J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête.

Guerre, un roman inédit

L’action de Guerre se déroule dans les Flandres, durant la Grande Guerre. À la fois récit autobiographique et oeuvre de fiction, le roman évoque une des expériences les plus traumatisantes de la vie de l’auteur : celle du front, « abattoir international de la folie ». Écrit environ deux ans après la parution de Voyage au bout de la nuit, le roman Guerre constitue une pièce capitale de l’oeuvre de Louis-Ferdinand Céline. C’est pour cette raison que l’exposition met particulièrement en lumière le précieux manuscrit, aux côtés de ceux de Londres, de Casse-pipe et de La Volonté du roi Krogold.

Les sources biographiques de l’oeuvre

En plus des manuscrits, les visiteurs peuvent découvrir des documents plus intimes (lettres, cartes postales, portrait,…), sources biographiques de l’oeuvre littéraire de Louis-Ferdinand Céline. Les médailles militaires de l’écrivain, le Journal de marche de son régiment et le livret matricule de Céline sont accompagnés de documents de l’histoire éditoriale.

Céline, les manuscrits retrouvés
Exposition proposée à l’occasion de la parution de Guerre de Louis-Ferdinand Céline
Galerie Gallimard, 30-32 rue de l’Université, 75007 Paris
Exposition du 6 mai au 16 juillet 2022.

Lire à Limoges : édition 2022 !

Du 13 au 15 mai prochain se déroule le salon Lire à Limoges. Une édition 2022 placée sous le thème des diversités.

Douglas Kennedy a été choisi pour présider la nouvelle édition du salon Lire à Limoges. À cette occasion, l’auteur américain viendra présenter son nouveau roman Les hommes ont peur de la lumière (Belfond). Pour l’entourer, huit invités d’honneur sont conviés, parmi lesquels Jean Teulé, Franck Bouysse ou les écrivains issus du monde musical Mathias Malzieu et Louis Bertignac. Au total, ce ne sont pas moins de 300 auteurs qui viendront rencontrer leur public lors de 90 rencontres, tables rondes, ateliers, grands entretiens et animations.

Cet événement marque également la première édition du Prix du premier roman de la Ville de Limoges, un prix parrainé par Franck Bouysse qui récompense le premier roman d’un auteur francophone. Il couronnera cette année la primo-romancière Sophie d’Aubrey pour S’en aller (Inculte). Trois autres prix littéraires jeunesse et BD seront également attribués durant le salon : le Prix des lecteurs BD, le Prix Jean-Claude Izzo et le Prix Coup de coeur jeunesse.

En plus de mettre à l’honneur de jeunes talents, Lire à Limoges offre une place centrale aux éditeurs de Nouvelle-Aquitaine et aux acteurs locaux de la chaîne du livre en leur dédiant une vingtaine de stands. Parmi eux sera présente l’AENA (Association des Éditeurs de Nouvelle-Aquitaine) qui proposera une matinée interprofessionnelle ayant pour thème « l’édition indépendante en Nouvelle-Aquitaine : difficultés, avantages et leviers ». Ouvert au grand public, ce temps de réflexion et d’échanges se déroulera le vendredi 13 mai de 10h à 12h.

Pour plus de renseignement sur Lire à Limoges : https://lire.limoges.fr

Une fête de la librairie INDEPENDANTE !

Samedi 23 avril, l’association Verbes organise la Journée de la librairie indépendante. Et la place sous le signe des valeurs humanistes, en cette veille d’élection présidentielle.

Depuis vingt-quatre ans, l’association Verbes mobilise le jour de la Sant Jordi près de 500 librairies indépendantes de France, de Belgique et de Suisse dans le cadre de la journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Une journée pour défendre l’indépendance et réaffirmer le combat des libraires pour protéger leur métier.

Pour Marie-Rose Guarnieri, fondatrice de la librairie des Abbesses située en plein Montmartre, également fondatrice de l’association Verbes, « les livres, on peut les trouver ailleurs mais pas la façon de les penser en lien avec les autres. » Donner une visibilité aux libraires, ce « métier de modeste » est donc fondamental.

Nous tenons à rappeler combien le livre reste la pierre angulaire de toute démocratie et de toute société ouverte sur le monde et qui porte en lui l’esprit de pluralité.

Un livre et une rose

Cette année, le livre On en garde 10 ! sera offert aux visiteurs des librairies indépendantes participant à l’opération. Il est conçu comme une bibliothèque : cinquante auteurs, de Sarah Chiche à Alain Damasio, en passant par Mohamed Mbougar Sarr, Maylis de Kerangal, Nathacha Appanah et Agnès Desarthe  présentent dix livres qui ont marqué leur vie. Un livre « qui invite à un véritable festin » autour des livres fondateurs des auteurs. De quoi susciter la curiosité et, pourquoi pas, des envies de lecture…

Cette journée est l’occasion de « faire un geste en offrant ce livre ou une rose. C’est une façon de remercier nos clients », déclare Lydie, de la librairie du Coureau à Marennes. Car la librairie indépendante reste vulnérable, même si elle représente un élément de l’exception culturelle et est à ce titre protégée, notamment par la loi Lang. 

Inviter les lecteurs à se rendre chez leur libraire est une forme de soutien à la production littéraire et au livre.  Alors lisons, comme le propose cet extrait du Septentrion de Louis Calaferte reproduit sur les affiches de cette journée. « […] descendez dans le métro, asseyez-vous au chaud sur le banc poisseux – et lisez.»

Empreinte Carbonne : un nouveau festival consacré au polar

Située en Haute-Garonne, la ville de Carbonne accueille les 14 et 15 mai prochains la première édition d’Empreinte Carbonne, un festival international « Polar et Justice » parrainé par Olivier Norek.

Le dossier de presse du festival Empreinte Carbonne commence comme un guide touristique ventant les charmes de Carbonne, ville située à une trentaine de minutes de Toulouse, au bord de la Garonne : « Cette rivière tranquille, aux accents sinueux et rocailleux, c’est un fleuve. Carbonne a eu un port de commerce. La Garonne de Carbonne, qui coule paisiblement vers l’Atlantique si lointain, avait autrefois une activité débordante, comme l’étaient ses crues tant redoutées. Subsistent un petit port de plaisance, un chemin de halage, des murs en galets de Garonne et de belles promenades à faire tout autour des lieux du festival. »

Un écrin pour la littérature

« Empreinte Carbonne conjugue le plaisir culturel et le plaisir touristique. La ville à la campagne d’Alphonse Allais, elle est ici« , assurent les organisateurs. C’est dans cet écrin de nature qu’aura lieu, les 14 et 15 mai prochains, Empreinte Carbonne, un festival international « polar et justice » qui met à l’honneur le polar et la littérature noire, de la scène du crime aux salles d’audience et avec eux tous les métiers liés à la police et la justice : avocats, magistrats, policiers, journalistes, historiens,… tous sont appelés à la barre.

Empreinte Carbonne se présente comme le projet d’une ville et de ses habitants, porté par plusieurs institutions et organismes dont l’association Arts et culture en Volvestre. Un événement placé sous le signe de la citoyenneté puisqu’il propose de réfléchir aux grands enjeux de notre société, à commencer par les préoccupations écologiques.

30 auteurs de la galaxie « polar »

Parrainé par l’écrivain Olivier Norek, le festival invite pour sa première édition une trentaine d’écrivains français et étrangers parmi lesquels Franck Thilliez, Patrice Gain (lauréat du Prix du polar Sud Ouest-Lire en Poche), Victor Del Árbol, Céline Denjean, et bien d’autres personnalités.

Le festival met également à l’honneur les éditions Cairn qui fêtent leurs 25 ans cette année. L’occasion de (re)découvrir leur collection de romans policiers « Du Noir au Sud » et quelques-uns de leurs auteurs phares.

Différents formats de rencontres sont proposés durant ce festival : tables rondes, expositions, conférences, cafés littéraires,… et même une murder party. La programmation complète du festival sera bientôt disponible sur la page dédiée à Empreinte Carbonne.

Film : Tropique de la violence (ou la réalité sociale à Mayotte)

Adapté du roman éponyme de Nathacha Appanah, le film Tropique de la violence est sorti en salle en mars. Une plongée ultra-réaliste au cœur d’un bidonville de Mayotte. Un coup de poing qui manque de force.

Dans son roman Tropique de la violence Nathacha Appanah racontait la difficile vie des migrants et de toute une jeunesse mahoraise livrée à elle-même. Réquisitoire contre la misère, la violence et l’injustice, il s’attachait à plusieurs personnages en croisant leur destin dans un récit polyphonique. Plébiscité et primé, le roman a fait l’objet d’adaptations au théâtre et en bande dessinée. Il est aujourd’hui porté à l’écran par le réalisateur Manuel Schapira qui cosigne le scénario avec Delphine de Vigan.

L’histoire. Moïse est orphelin. Sa mère comorienne l’a abandonné juste après leur arrivée sur l’île de Mayotte alors qu’il n’est encore qu’un bébé. Ses yeux vairons l’inquiètent en ce qu’ils sont supposés porter malheur selon une croyance populaire. Il est alors recueilli par une infirmière qui assure son éducation jusqu’à ce jour où elle meurt d’un infarctus. Moïse a treize ans. Il se retrouve seul. Perdu, il est rattrapé par un gang. C’est le début de la descente aux enfers.

Entre fiction et documentaire

Le film Tropique de la violence donne dans la veine ultra-réaliste. Il montre des images dures qu’on ne penserait pas voir à Mayotte. Mais, au fond, que sait-on de Mayotte ? On voudrait voir cette île comme un paradis. Or si le 101ème département de France a tout pour faire rêver- le soleil, la végétation tropicale luxuriante et les eaux bleu turquoise -, il est aussi le plus pauvre et le plus violent de France. Mayotte est un territoire laissé pour compte où vivre est pour beaucoup une lutte quotidienne. Le film montre avec des images crues, très dures, les ravages de la drogue, la misère. « La réalité a imprégné la fiction, reconnaît Delphine de Vigan. Mais le film rend compte de la dimension romanesque. »

Un film tourné à Mayotte

Manuel Schapira a tourné à Mayotte, là où les réalisateurs évitent d’aller en règle générale, pour assurer l’authenticité du film. Il a également fait jouer de jeunes acteurs non professionnels recrutés sur l’île spécifiquement pour le tournage. « Je pensais que le plus difficile, ce serait les bandes, car les gamins ont des accès de violence. Mais il y a chez eux une envie de se projeter. Ils ont accepté. Ils ont besoin de jouer. Gourmand [un jeune acteur mahorais, ndlr] a accepté parce qu’il voulait apprendre à lire » (Manuel Schapira dans C la suite sur France 5). À bien des égards, la réalisation de ce film a été une aventure humaine.

Rares sont les livres et encore plus les films sur Mayotte. En cela, Tropique de la violence est précieux. Si le film hésite entre documentaire et fiction, il est autant un drame qu’un film politique. La tension est forte de même que le propos sur le désespoir d’une population. Malheureusement, le film ne convainc pas. On aurait aimé que l’écriture des personnages soit plus fouillée pour dépasser la caricature et que le scénario ait plus relief.

Une Escale du livre tournée vers l’avenir

Du 8 au 10 avril, l’Escale du livre fête ses 20 ans dans le quartier Sainte-Croix à Bordeaux. L’occasion de repenser le festival et le salon du livre, de proposer de nouveaux formats et des créations inédites, dans un soutien affirmé à l’édition indépendante.

On se souvient de l’édition 2021 de l’Escale du livre, entièrement repensée à cause de la crise sanitaire. Les organisateurs avaient imaginé une programmation hybride composée d’événements « en présentiel » et de contenus filmés et diffusés en ligne.

Bénéfice de cette période, cette ouverture sur Internet et les réseaux sociaux a permis à l’Escale d’amorcer une révolution numérique de grande ampleur : la création d’un nouveau site internet, la réduction du programme imprimé et le déploiement de sa communication digitale, avec notamment l’introduction de QR codes sur les affiches et les programmes.

De nouveaux auteurs

Une façon de tisser des liens avec une communauté plus large et d’envisager de nouveaux partenariats. « Depuis notre édition numérique, nous avons réellement augmenté le nombre d’abonnés sur nos réseaux sociaux , nous apprend la coordinatrice Gaëlle Thoilliez. Notre communauté se développe, nous arrivons à intéresser un public plus jeune, plus large, qui ne connaît pas forcément l’univers du livre, mais qui y accède par ce biais-là. »

Ce développement se reflète dans la programmation, avec l’apparition d’invités qui ont acquis leur notoriété sur les réseaux sociaux et qui ont suscité l’intérêt des maisons d’édition, au point d’être publiés. « Après deux ans d’édition réduite, cela fait du bien d’amener un nouveau souffle avec des auteurs qui viennent d’une autre sphère », affirme Gaëlle Thoilliez.

Citons par exemple Charlotte Pudlowski qui publie Ou peut-être une nuit chez Grasset et anime un podcast sur l’inceste. Ou Simon Frankart, l’illustrateur du compte Instagram Petites Luxures, très suivi sur Instagram. Ses dessins érotiques, inspirés d’histoires intimes recueillies auprès de sa communauté de followers, ont fait l’objet de plusieurs livres. Côté jeunesse, l’Escale invite Frigiel, un YouTubeur spécialisé en jeux vidéos et auteur de quelques ouvrages sur le sujet. 

Mise à l’honneur de la poésie

Mais la créativité dont font preuve les acteurs des réseaux sociaux n’empêche pas pour autant d’autres modes d’expression plus « traditionnels » de figurer en première ligne de cette édition 2022, comme l’art poétique mis à l’honneur lors de la soirée de lancement de la Maison de la poésie de Bordeaux à laquelle s’associe l’Escale, autre temps fort du festival.

À part ces quelques nouveautés, la 20ème édition de l’Escale du livre reprend, avec 95 auteurs, 10 libraires et une soixantaine d’éditeurs la même trame que les années précédentes : des rencontres, des dédicaces, des débats de société, des performances, … autant de propositions reflétant l’actualité et la production éditoriale. Entre autres créations, signalons deux lectures assurées par la comédienne Sandrine Bonnaire : Les Carnets de Goliarda Sapienza et des extraits du roman Les abeilles grises de l’écrivain Andreï Kourkov, resté en Ukraine auprès des siens.

Retrouvez la programmation complète de l’Escale du livre sur cette page.

À la rencontre du Petit Prince !

Le Musée des Arts Décoratifs de Paris propose la première exposition muséale entièrement consacrée au Petit Prince, le chef-d’oeuvre d’Antoine de Saint-Exupéry.

Phénomène éditorial depuis 75 ans, traduit dans plus de 500 langues ou dialectes, Le Petit Prince totalise chaque année cinq millions d’exemplaires vendus dans le monde et les adaptations musicales, théâtrales et audiovisuelles se multiplient. Il était donc grand temps de lui consacrer une exposition, afin de lui rendre hommage.

Une histoire universelle

À travers des documents et des dessins prêtés par des institutions et des collectionneurs du monde entier, dont des centaines d’éditions étrangères, l’exposition vise à « donner des clés de compréhension pour ce conte aussi universel qu’énigmatique », à la portée philosophique considérable, bien au-delà d’un livre destiné à la jeunesse. 

Saint-Exupéry offre un conte philosophique intemporel, qu’il semble bien difficile de ranger, trop catégoriquement, dans la littérature destinée à la jeunesse, mais plutôt dans celle qui parle intimement à chacun au fil du temps qui passe, chaque lecture trouvant des résonances différentes selon l’âge, le moment, le lieu quelquefois.

Olivier Gabet, directeur du Musée des Arts Décoratifs

La genèse de l’oeuvre

Le début de l’exposition plonge le visiteur dans l’enfance et l’adolescence de Saint-Exupéry, né en 1900 à Lyon. Son éducation, son goût pour la poésie, sa fascination grandissante pour les avions constituent la genèse de l’oeuvre de l’écrivain-aviateur. Le parcours évoque ensuite son expérience dans l’aviation, les années dans l’Aéropostale et revient sur son accident d’avion et la longue marche dans le désert en décembre 1935, un événement qui constitue le point de départ du Petit Prince

« S’il vous plaît, dessine-moi un mouton ! »

La rencontre entre le Petit Prince et Saint-Exupéry se fait autour du dessin, un des talents que possédait l’écrivain : présents dans ses lettres, ses brouillons, ses carnets et ses manuscrits, ces croquis poétiques et stylisés reflètent ses états d’âme et témoignent de la vision du monde de l’écrivain.

On raconte que lorsqu’il était en exil aux États-Unis, ses éditeurs américains, le voyant griffonner sans arrêt, proposèrent à Saint-Exupéry d’écrire un conte pour enfants. Le Petit Prince paraît ainsi pour la première fois outre-Atlantique en avril 1943, puis en France à la fin de la guerre, en avril 1946, lorsque Gallimard en publie l’édition française, après la disparition de l’écrivain-aviateur.

Un document inestimable

Le manuscrit original du Petit Prince constitue la pièce maîtresse de l’exposition proposée par le Musée des Arts Décoratifs. Exceptionnellement prêté par La Morgan Library & Museum de New York, ce document à la valeur inestimable est exposé pour la première fois à Paris, accompagné d’un ensemble de documents pour la plupart inédits : des esquisses, des dessins préparatoires et des aquarelles originales.

À la rencontre du Petit Prince
Musée des Arts Décoratifs – 107, rue de Rivoli, 75001 Paris
Exposition visible du 17 février au 26 juin 2022.

Seule la terre est éternelle (selon Jim Harrison)

Plus qu’un portrait d’écrivain, le film de François Busnel et Adrien Soland qui sort en salle le 23 mars se présente comme une fable écologique racontée par un Jim Harrison au crépuscule de sa vie. Un testament joyeux et inspirant.

Tout commence un soir de 2011, lors du tournage d’un Carnet de route consacré à Jim Harrison. Le journaliste François Busnel et le réalisateur Adrien Soland sont dans le Montana, dans la maison de l’écrivain américain. L’amitié qui unit François à Jim remonte à quelques années et le projet de faire un film sur lui est évoqué. Le journaliste esquisse un scénario et expose son idée à l’écrivain. Ce dernier refuse, cette fois et les suivantes, chaque fois qu’on lui reposera la question.

Jusqu’à ce coup de fil que Jim Harrison passe à François Busnel, en juin 2015 : « Si tu as toujours envie de faire ce film, viens cet été ». Sans se faire prier, l’équipe de tournage arrive sur place. « Quelle histoire allons-nous raconter? » demande Jim Harrison. « Je lui ai dit que je ne serais pas à l’image, qu’il n’y aurait ni archives ni voix off, que je ne raconterais pas sa vie comme une biographie le ferait. » raconte François Busnel. Jim sourit et déclare : « On y va ! »

Il voulait en finir avec sa légende, la légende de Big Jim. « Les légendes nous étouffent », disait-il.

Le tournage a duré trois semaines durant lesquelles l’écrivain américain a été d’une disponibilité totale et d’une grande générosité. Un rendez-vous pour d’autres prises est fixé pour le printemps d’après. Malheureusement, Jim Harrison meurt le 26 mars 2016, quelques jours avant la reprise du tournage. On raconte qu’il est mort à sa table de travail en écrivant un poème. Le choc est violent pour François Busnel et Adrien Soland qui réalisent qu’ils viennent de filmer les dernières images de Jim Harrison. S’il faut faire un film, il sera fait avec les images existantes. François Busnel le réécrit et le monte après la mort de l’écrivain et le film sort, six ans plus tard, accompagné d’une musique de Mathias Malzieu et Olivier Daviaud.

« Seule la terre est éternelle n’est pas un film sur Jim Harrison, mais avec Jim Harrison ». Dans ce documentaire, Jim Harrison nous fait découvrir son Amérique à lui, celle des parties de pêche, de la wilderness et des terres indiennes. Les gros plans sur son visage reflètent les paysages des grands espaces magnifiquement filmés en plans très larges : « Son visage me bouleverse, nous confie François Busnel. Ses rides sont des ravines, ses traits sont des cratères, son teint buriné est la Terre ».

Il voulait être filmé tel qu’il était, abîmé mais debout, jubilant d’aller pêcher sur la Yellowstone River, marchant à Emigrant Peak, prenant la route pour rejoindre sa casita près de la frontière mexicaine, entouré d’amis chers.

L’écrivain vieillissant « au physique de cyclope et à la démarche de grizzli », évoque avec sincérité son écriture et sa vie, avec ses hauts et ses bas. Il partage avec nous sa vie et sa philosophie de vie, une philosophie joyeuse ancrée dans la terre qui parcourt toute son oeuvre, « dans une célébration de ce rapport retrouvé à la nature à la fois majestueuse et dangereuse ».

Une des dernières séquences filmée, sur laquelle s’ouvre le documentaire, a pour décor le bureau de Jim Harrison. L’auteur lit un poème et nous fait cette confession : « Je n’ai peut-être pas la force d’écrire encore un long roman, mais je viens d’avoir une idée. » Cette idée est l’histoire d’une jeune fille qui adore les arbres et qui tombe amoureuse d’un bûcheron… La condition humaine selon Jim Harrison. Parvenu au crépuscule de sa vie, Jim Harrison nous livre son testament spirituel et « nous offre sa part la plus sincère ». C’est précisément cela qui donne au film sa force, sa tendresse et sa complicité.

Création d’une Maison de la poésie à Bordeaux : donner du sens et créer du lien

L’association Maison de la poésie de Bordeaux a lancé une souscription sur Helloasso afin de récolter des fonds. Son but ? Rendre la poésie accessible en réunissant écrivains et publics dans un espace-temps dédié au texte. Avec un plaisir en plus : rendre la poésie joyeuse. Présentation du projet.

L’association Maison de la poésie de Bordeaux à peine créée, son président Patrice Luchet a déjà planifié des événements qui font entendre des textes « de manière joyeuse » et qui « permettront de présenter la marque de fabrique » du travail qui sera mis à l’œuvre dans la future maison. Le premier événement est de taille. Il s’agit de la soirée de lancement de L’Escale du livre le vendredi 8 avril prochain. Après quatre demi-journées d’atelier d’écriture avec Nicolas Tardy, des élèves de CM1-CM2 présenteront leur travail en ouverture de la soirée, puis resteront en bord de scène quand d’autres auteurs, Fanny Chiarello et Emanuel Campo accompagnés par Eric Pifeteau, l’ancien batteur des Little Rabbits, prendront le relais.

Rendre la poésie accessible

Le concept est simple à première vue : organiser un atelier d’écriture avec un écrivain sur quelques jours et une restitution de lectures à voix haute mise en musique, en danse, en dessin, en photographie sur une scène professionnelle, avec des professionnels.

L’objectif de Patrice Luchet est « de monter quelque chose qui rende la poésie accessible. » L’atelier d’écriture comme sa restitution à voix haute donnent accès au texte. « Le rythme de la poésie permet d’abattre les contraintes de langue; la liberté de la poésie permet de défier la barrière de la langue. » Et le final sur scène, où chacun est autorisé à faire entendre sa voix, dans des conditions professionnelles, permet un moment de partage avec les familles, les amis, les spectateurs, les artistes.

Si  « nous avons tous un jour ou l’autre croisé la poésie dans notre vie », nous nous en sommes bien souvent éloignés. Avec ce concept, la poésie encore trop élitiste, serait remise dans la société.

Un projet de poésie et de liens

L’amener dans le monde de l’entreprise est aussi envisagé. Les différents modes de management mis en œuvre ces dernières décennies, citons au hasard et de manière non exhaustive le flex office, la gestion par la qualité et le lean management, la segmentation du métier, ont grandement contribué à la perte de sens. Pour Patrice Luchet, la poésie peut contribuer à « retrouver un sens et avoir une portée sociale par le fait de travailler ensemble puis de restituer ensemble. »

Nous partons du constat que notre monde a besoin de poésie, car le poète dit le monde. Et le réinvente par ses mots. Et cela fait du bien. 

« Tout est possible », affirme Patrice Luchet qui anime des ateliers d’écriture pour des migrants dans le cadre du collectif Bienvenue – Mobilisation pour les réfugiés et qui espère toucher tous les publics.

Et favoriser des rencontres avec des auteurs variés. Même si certains restent hésitants à se mettre en scène, Patrice Luchet se veut rassurant : « La lecture à voix haute n’est pas très éloignée du travail d’écrivain. Elle permet de voir son texte différemment. Et on peut encore avoir une prise sur son texte pendant une lecture, il n’est pas encore figé. Si l’on fait appel à un auteur, c’est qu’on croit en lui, en son texte et qu’on croit qu’il va rencontrer un nouveau public, un public inattendu. »

Une équipe aguerrie

Entouré d’Eric Chevance, co-fondateur du TNT – Manufacture de chaussures aujourd’hui enseignant à l’université Bordeaux-Montaigne, de Carole Lataste, chargée de l’action culturelle au sein de l’association N’a qu’1 Œil, de Philippe Bruno, créateur de la startup BlookUp, un service d’édition de livres de blogs, d’Hèlène des Ligneris, directrice de La Machine à Lire, et des enseignantes Christelle Granit et Stéphanie Soulié, Patrice Luchet assure avancer confiant.

Lancer la poésie dans le monde en la mettant en pratique, en la décloisonnant, en l’ouvrant parce qu’elle fait grandir et crée des liens. Tel est le projet de la Maison de la poésie de Bordeaux. Les villes de Paris, Nantes, Rennes, Hagetmau ont la leur. Assurément, un tel projet fait sens à Bordeaux. Si à terme, l’objectif est de trouver, ou de partager un lieu, l’objet de la souscription lancée via Helloasso est plus modeste. Avec pour ambition de récolter 15 000 €, les fonds permettront de financer les premiers événements principalement à travers la rémunération des auteurs dans le respect de la charte du CNL.

« Les quelques 3000 € récoltés à ce jour soutiendront les événements prévus pour 2022 », assure Patrice Luchet. Un bon début pour ce projet culturel qui œuvrera à promouvoir la création poétique contemporaine. Parce que tous les poètes ne sont pas morts…

FRACTURE d’Andrés Neuman (ou l’art du kintsugi)

Dans son quatrième roman paru en français, l’auteur argentin dresse le portrait fragmenté d’un Japonais survivant des deux bombes atomiques qui ont frappé son pays en 1945.

Yoshie Watanabe n’est qu’un enfant lorsque les bombes atomiques sont larguées, tuant son père à Hiroshima et le reste de sa famille à Nagasaki. Cette histoire, il choisit de la taire, préférant toute sa vie le silence à la parole : « Yoshie m’a expliqué qu’il ne voulait surtout pas réduire son identité à cette tragédie. […] Il refusait de vivre, mais aussi d’aimer en qualité de victime aux yeux des autres. »

Employé d’une multinationale, Yoshie Watanabe fait toute sa carrière à l’étranger, dans différents pays d’exil, aux côtés de Violette à Paris, de Lorrie à New York, de Mariela à Buenos Aires puis de Carmen à Madrid. À sa retraite, il revient s’installer à Tokyo, la ville où il a grandi après la catastrophe.

Lorsque commence Fracture, un important séisme frappe le Japon. Nous sommes le 11 mars 2011. Le tremblement de terre, le tsunami et la catastrophe de Fukushima réveillent en Yoshie le traumatisme nucléaire qu’il s’était efforcé de refouler jusqu’alors.

Ce roman est une anthologie de failles et de brisures en recherche de réparation.

Fracture tire sa force du choix narratif fait par l’auteur : ce sont surtout les femmes que Yoshie a côtoyées qui évoquent la vie de celui qui refuse de se considérer comme un authentique hibakusha, le nom donné aux victimes des bombardements atomiques d’août 1945. Violette, Lorrie, Mariela et Carmen, chacune avec sa fêlure intime écrit un chapitre de leur histoire commune et raconte l’homme qu’elles ont connu. Autant de fragments qui, rassemblés, habillent le silence et redonnent sens à l’existence lézardée de cet homme qui a vécu aux quatre coins du globe, dans différentes langues d’exil.

Plus qu’une personne parlant plusieurs langues, il avait l’impression d’être autant d’individus que de langues qu’il parlait.

Passionné par le Japon qui constitue l’épicentre de Fracture, Andrés Neuman évoque la philosophie du kintsugi, un art omniprésent dans son roman : « Lorsqu’une céramique se casse, les maîtres de cet art saupoudrent d’or chaque fissure, la soulignent. Au lieu d’être gommées, les brisures et les réparations sont mises en évidence, elles prennent une place centrale dans l’histoire de l’objet. Mettre cette mémoire en exergue est l’embellir. Ce qui a survécu aux dommages subis gagne en valeur, en beauté. »

Dans ce récit de reconstruction, Andrés Neuman réussit à dessiner, page après page, une fresque universelle d’une rare intensité qui rend hommage aux victimes, comblant de mots le silence qui, souvent, recouvre leur traumatisme.

Note : 4.5 sur 5.

Fracture
Andrés Neuman
Alexandra Carrasco-Rahal (traduction)
Buchet Chastel, 528 pages, 2021.

Le 1/4 d’heure de lecture des Français!

Jeudi 10 mars 2022 à 10 heures les Français sont encouragés à cesser leur activité pour consacrer un quart d’heure à la lecture, où qu’ils soient, chez eux ou au travail, seuls ou en famille. 15 minutes d’apaisement et de calme pour le plaisir de lire.  

La lecture est un bien précieux que les Français ont redécouvert en 2020 lors des confinements. Les ventes de livres en librairie ont alors décollé de manière inédite – et imprévue. Il est vrai qu’ils disposaient enfin de temps, ce temps après lequel on court en général toute la journée, entre les obligations professionnelles, les tâches domestiques et l’éducation des enfants. Ils disposaient aussi de l’espace de calme nécessaire à la lecture, loin de l’agitation et du fourmillement du quotidien.

Proposé par le Centre national du livre (CNL), le quart d’heure de lecture programmé jeudi 10 mars à 10 heures veut « remettre la lecture au cœur de notre quotidien ». Son principe est simple : arrêter son activité, mettre de côté les appareils électroniques et s’emparer d’un livre choisi librement pour une durée de 15 minutes. Où que l’on soit, au bureau ou chez soi.

Silence, on lit !

Dédier un temps de la journée à la lecture est déjà une réalité pour les élèves et les personnels des établissements scolaires grâce à l’association « Silence, on lit ! », à l’origine de ce projet, et qui depuis 2016 propose un accompagnement à la mise en place de ce temps calme. Les résultats de ce projet dans le cadre scolaire sont probants : il permet un regard différent sur le livre qui n’est plus perçu comme une contrainte scolaire, mais comme un outil d’évasion et de plaisir. Quant aux bienfaits de la lecture sur l’apprentissage et la maîtrise de la langue, connus depuis longtemps, ils sont régulièrement confirmés par des études scientifiques. L’une d’elles, menée par l’Université de Berkeley en Californie, estime que la littérature jeunesse expose l’enfant à 50% de mots en plus qu’une émission télévisée. On le savait aussi : la lecture donne les clefs de la connaissance de soi et des autres.

Mais ce n’est pas tout et c’est peut-être là le plus intéressant. Enfants comme adultes prennent goût à cette pause consacrée à la lecture. Lire est une source d’épanouissement et d’émerveillement, un plaisir. « Les retours en termes d’apaisement, de concentration, d’amélioration du climat scolaire sont extrêmement positifs » selon l’association Silence, on lit ! C’est ce que confirme une étude de David Lewis, neuropsychologue de l’université du Sussex dont les recherches ont montré que la lecture permettrait de réduire le stress plus efficacement que n’importe quelle autre activité. Sans oublier qu’elle stimule le cerveau et contribue à préserver la mémoire.

Lire un peu chaque jour

C’est parce que la lecture a des vertus bien connues que l’opération « le quart d’heure de lecture » veut la promouvoir. Elle affiche pour ambition d’élargir ce temps de pause à l’ensemble de la population, et de pérenniser cette pratique à plusieurs jours de la semaine. « En mobilisant les écoles, les entreprises, les administrations, les associations et en manifestant notre attachement collectif aux livres, le but ultime de cette opération nationale est de permettre à l’ensemble des partenaires de se saisir du « quart d’heure de lecture » pour le généraliser tout au long de l’année. » Si la grande inconnue reste de savoir comment « le quart d’heure de lecture » sera perçu dans le monde de l’entreprise, des projets sont recensés un peu partout en France.

S’autoriser à ralentir. S’accorder une pause en pleine journée pour lire. S’évader de son quotidien pour s’ouvrir à d’autres et à d’autres mondes. La sanctuarisation de 15 minutes chaque jour pour que le temps de lire ne soit plus du temps volé s’inscrit dans un ensemble d’opérations consacrées à la lecture depuis qu’elle a été déclarée « grande cause nationale » qui seront déclinées tout au long de l’année 2022. Nous aurons l’occasion d’en reparler.