À travers le personnage de Bill Furlong, l’Irlandaise Claire Keegan éprouve la conscience de son pays, complice d’avoir passé sous silence le sort réservé à de nombreuses jeunes filles enfermées dans des couvents, employées comme blanchisseuses. Un livre lumineux qui nous éclaire sur l’une des plus terribles tragédies de l’histoire d’Irlande.
Claire Keegan est un de ces écrivains qui, par la beauté de leur écriture, sont capables de diffuser de la chaleur et de la lumière en plein coeur de l’hiver.
Nous sommes quelques jours avant Noël, dans la ville de New Ross, au sud-est de l’Irlande. Le froid et la pluie s’abattent sur la ville et ses habitants, ce qui arrange les affaires de Bill Furlong, propriétaire d’un commerce de charbon et de bois de chauffage. Les commandes affluent, l’obligeant à effectuer les livraisons lui-même. Lors d’une de ses tournées, Bill est appelé au couvent des religieuses du Bon Pasteur, un lieu réputé pour son école professionnelle et sa blanchisserie, mais aussi objet de rumeurs sur les jeunes filles employées pour ce travail.
Certains disaient que les filles de l’école professionnelle, comme on les appelait, n’étudiaient rien, mais étaient des filles de moralité douteuse qui passaient leurs journées à s’amender, à faire pénitence en nettoyant les taches sur le linge sale, qu’elles consacraient chaque jour sans exception, de l’aube à la nuit, au travail.
Là-bas, derrière les hauts murs, dans ce couvent qui « ressemblait presque à une carte de voeux, avec les ifs et les pins saupoudrés de givre », Bill va croiser des jeunes filles dans un état de santé et de propreté préoccupant. Une d’elle l’implore même de la faire sortir de là, ce qu’il ne peut accepter. Mais le souvenir de cette jeune pensionnaire le hante et ravive celui de sa propre mère, une femme qui lui a donné naissance lorsqu’elle avait à peine seize ans et qui eut la chance d’être recueillie par la femme qui l’employait, ce qui leur a sauvé la vie.
Le personnage de Bill Furlong permet à Claire Keegan de s’interroger sur le silence de la population et de l’État irlandais face aux agissements des couvents de la Madeleine : pendant plus de 70 ans, dans l’indifférence générale, plus de 10 000 jeunes filles ont été enfermées et exploitées dans ces institutions religieuses, travaillant gratuitement comme blanchisseuses pour des établissements publics, des prêtres et de riches familles.
Rejetées par leurs parents, lorsqu’elles n’étaient pas orphelines, les pensionnaires y étaient conduites pour laver leurs péchés à l’image de Marie-Madeleine, en lavant le linge sale des autres et en menant une vie de labeur et de prière.
Parmi elles, de jeunes femmes jugées perdues, car tombées enceintes avant leur mariage. On estime à plus de 2000 le nombre de bébés nés dans ces couvents, puis vendus à de riches familles américaines, tandis que certains nourrissons et leurs mères connaissaient une fin tragique : en 1993, sur le terrain d’un de ces couvents, les tombes anonymes de plus de 100 pensionnaires furent déterrées.
Cette histoire est dédiée aux femmes et aux enfants qui ont subi la claustration dans les blanchisseries de Magdalen en Irlande.
Le roman de Claire Keegan aborde cet épisode douloureux avec une grande délicatesse, donnant à son personnage principal la conscience et le courage qui manquaient aux témoins de cette tragédie, à commencer par l’État irlandais qui a longtemps nié sa responsabilité, rejetant la faute sur les institutions religieuses. Le dernier couvent a fermé en 1996 et il faudra en effet attendre 2013 pour que l’État reconnaisse sa culpabilité et dédommage les nombreuses victimes auxquelles ce livre rend hommage.
Pour approfondir le sujet évoqué par ce livre, nous vous recommandons deux films : The Magdalene Sisters, de Peter Mullan (2002) et Philomena, de Stephen Frears (2013).

Ce genre de petites choses
Claire Keegan
Jacqueline Odin (traduction)
Le Livre de Poche, 2022, 128 pages.